Blog vagabond, culturel et champêtre

lundi 29 décembre 2008

Saint-Loup en oiseau

"Même immobile, la couleur qui était la sienne plus que de tous les Guermantes, d'être seulement l'ensoleillement d'une journée d'or devenu solide, lui donnait comme un plumage si étrange, faisait de lui une espèce si rare, si précieuse qu'on aurait voulu le posséder pour une collection ornithologique ; mais quand, de plus, cette lumière changée en oiseau se mettait en mouvement, en action, quand par exemple je voyais Robert de Saint-Loup entrer dans une soirée où j'étais, il avait des redressements de tête si soyeusement et fièrement huppée sous l'aigrette d'or de ses cheveux un peu déplumés, des mouvements de cou tellement plus souples, plus fiers et plus coquets que n'en ont les humains, que devant la curiosité et l'admiration moitié mondaine, moitié zoologique qu'il vous inspirait, on se demandait si c'était dans le faubourg Saint-Germain qu'on se trouvait ou au Jardin des Plantes et si on regardait un grand seigneur traverser un salon ou se promener dans sa cage un oiseau. Tout ce retour, d'ailleurs, à l'élégance volatile des Guermantes au bec pointu, aux yeux acérés était maintenant utilisé par son vice nouveau qui s'en servait pour se donner contenance."

Marcel Proust, Le temps retrouvé - Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1989- (p. 282)

vendredi 26 décembre 2008

Plan de table

Toute la famille est là, réunie pour le repas annuel. Père, grand-père et (du moins l'espère-t-il) bientôt arrière-grand-père, l'aïeul s'est assis le premier, dos à la face nord de la grande salle à manger. Il a faim et s'impatiente. Il est le seul à savoir où est sa place à table, quoi qu'il arrive. Installez-vous, dit-il, ici il n'y a pas de plan de table, chacun se met où il veut. Pas de plan de table, mais des évidences. La fille aînée du côté droit du père. La cadette du côté gauche. L'ex-compagnon de la fille aînée juste à la droite du père. Le mari de la fille cadette juste à la gauche du père. La fille aînée avait gagné une place tout à côté du père en se séparant de son compagnon, elle la reperd. Elle régresse même de deux places, puisque son fils maintenant adulte et cadre de la fonction publique s'assoit tout naturellement à côté de son père, ex-compagnon de la fille aînée. Le fils de la fille cadette, lui aussi fort naturellement, prend place à côté de son père. Depuis ses 21 ans, il n'est plus qu'à une place du patriarche. Les hommes sont donc installés et forment un petit groupe. Comme autrefois à la messe. Comme ça, ils pourront parler, dit l'aïeule. La fille aînée ne voulait pas se retrouver du côté féminin de la table, d'autant qu'elle perd une place supplémentaire en raison de la présence de la petite amie de son fils. Pas question de les séparer, bien sûr. La fille cadette régresse également, pour la même raison. Elle ne va tout de même pas s'intercaler entre son fils et la petite amie de celui-ci. Et puis les deux cousins, qui se font face, pourront parler. Le côté féminin de la table, le plus proche de la cuisine, se compose donc de l'aïeule, de la fille aînée, de la fille cadette et de la petite-fille, trop jeune pour avoir déjà un petit ami. Les petites amies des petits-fils forment comme une ligne de frontière entre la face masculine et la face féminine du repas. Pas de plan de table, non, bien sûr, on est en famille et puis ici on n'est pas chez les bourges. Pas de plan de table, mais une fois encore, tout naturellement, une géographie familiale se dessine aux couleurs de la tradition.

mardi 23 décembre 2008

Miroitements

Voilà un petit livre peu banal, reçu dans le cadre de l’opération Masse Critique organisée par Babelio. Imaginez un peu : de la poésie trilingue letton – français – allemand ! Pour moi qui aime la poésie et qui m’intéresse aux langues, c’est vraiment cadeau !

Il porte donc un triple titre : Atainojumi / Miroitements / Spiegelungen, par lequel on pénètre dans une forêt d’images et de sons mystérieux. Trois facettes d’un univers où le ž du letton, le œ du français et le β de l’allemand se répondent avec élégance.



L’auteure, Dagnija Dreika, poète et traductrice littéraire, est née à Riga en 1951. Sa poésie, très visuelle, s’agence en tableaux parfois ironiques et trouve ses sources dans la nature, mais aussi dans les légendes et dans son panthéon personnel. Elle affectionne les mots rares, ce qui fait de la traduction une gageure. On la dit héritière du romantisme et du néo-classisme. Elle prépare actuellement une anthologie bilingue français-letton de poètes belges francophones contemporains.

Il est difficile d’apprécier le charme sonore de ses poèmes si l’on ne connaît pas le letton, mais Rose-Marie François, elle-même poète traduite en letton par Dagnija Dreika, va chercher avec talent dans les tréfonds et les richesses des deux langues pour « dire presque la même chose » aux francophones amateurs de poésie.

Les Editions En Forêt / Verlag im Wald, sont implantées à Rimbach en Allemagne et publient uniquement de la poésie, généralement multilingue. On croise dans leur catalogue Israël Eliraz, Abdellatif Laâbi, Werner Lambersy,...


Puisque c'est Noël, voici

SARMAS FRESKA

Ziemas vakari gari uz laika bezdibeni iet.
Snieg. Ir Ziemsvētki. Nebeidzami snieg.
Visu to mūžību, kuru es tevi jau gaidu.
Ielas, jumti – cietsirdīgi atgādina viss
Tā gada fresku, kas jau ir pagājis.
Rīga sērsnas kleitā, un aizplūst laiks.

Krēska balto karogu izkārusi.
Esmu te, gaidu tevi joprojām
vēl, bet vakars jau projām klusi.

FRESQUE DE GIVRE

Longues soirées d’hiver dans l’abîme du temps.
Il neige, c’est Noël. Il neige infiniment.
Toute une éternité que je t’attends.
Les rues, les toits, cruel semblant
d’une fresque d’antan,
Riga, robe de givre, passe le temps.

Le crépuscule hisse un drapeau blanc.
Je suis là, je t’attends encore, encore.
Mais le soir s’évapore.

RAUHREIFFRESKO

Lange Winterabende im Abgrund der Zeit.
Es schneit zur Weihnacht, es schneit ohne Ende.
Ich warte schon seit einer Ewigkeit.
Straβen und Dächer täuschen grausam
Ein uraltes Fresko vor,
Riga im Rauhreif, die Zeit vergeht.

Die Dämmerung hiβt eine weiβe Fahne.
Da bin ich und warte noch immer, noch immer.
Doch still zieht der Abend dahin.



Dagnija Dreika, Atainojumi / Miroitements / Spiegelungen (Editions En Forêt / Verlag Im Wald, 2008). Poèmes trilingues letton / français / allemand.
Traduction en français : Rose-Marie François.
Űbersetzung ins Deutsche : Rüdiger Fischer
66 pages, 6€

Adresse de l'éditeur (ajouter 3 € pour frais de port) :
Verlag Im Vald / Editions En Forêt
Doenning 6
D 93485 RIMBACH
CCP 628 519 D Paris

jeudi 11 décembre 2008

Se livrer


Voilà déjà quelques mois que ma bibliothèque personnelle, livre après livre, rejoint virtuellement Babelio. Et, très curieusement, j'en suis troublée, quelque peu perturbée.

MES livres, ce sont mes compagnons de toujours, ils ont accompagné chaque étape de ma vie, ils parlent de moi, ils parlent pour moi et me dévoilent, bien plus que mon profil Facebook ou mes blogs. Ils en disent long sur mes amours, mes amis, mes apprentissages, les moments difficiles, les égarements et chemins de traverse, toutes les strates de toutes ces années. Mon premier Pléiade (le tome 1 de A la recherche du temps perdu) offert il y a si longtemps par un homme que j'aimais. Mon premier livre en version originale (The Unicorn d'Iris Murdoch), qui m'a demandé des centaines d'heures de travail avant de me donner du plaisir. Soleil noir de Julia Kristeva et Mars de Fritz Zorn, qui m'ont aidée à comprendre et vivre un passage dépressif. Les catalogues d'expositions qui me renvoient à des amitiés parfois perdues (quand ? avec qui ? à quelle occasion ? en quelle saison ?). Les livres de grammaire et de linguistique. Les livres sur la grammaire et la linguistique. Les dictionnaires. Les livres sur le livre et les bibliothèques. Les albums de La Pléiade (ah, Prévert !). Les livres sur les systèmes d'écriture. Les philosophiques et les poétiques. Les curiosités (Le déshonneur des poètes de Benjamin Péret transcrit en "alphabet de la guerilla" par Jacques Villeglé, une vieille édition du Brave soldat Cveik en version originale, trouvée chez un bouquiniste en République tchèque). Ceux que je n'ai jamais aimés mais qui sont restés. Ceux que je n'ai jamais lus et que je suis surprise de trouver là. Les pas-montrables - le premier qui se moque de mes livres d'astrologie, je lui casse la gueule ! Les doublons et même un triplon. Il y manque ceux que je n'ai plus, prêtés et jamais revus, compensés par ceux que j'ai empruntés et jamais rendus : sont-ils à moi, ceux-là ? Les mets-je sur Babelio ? Après tout, c'est un peu une forme de book-crossing entre amis, non ?

Rendre sa bibliothèque personnelle publique, est-ce bien raisonnable ? Si je les montre tous, c'est comme si je disais tout, que va-t-il me rester d'irréductiblement secret ? Alors, j'y vais à petits pas, j'en mets dix par-ci, dix par-là pour me familiariser avec ce nouveau danger. Et je regarde les bibliothèques des autres, avec la légère impression de regarder par le trou de la serrure...

mercredi 10 décembre 2008

C'est QUI le chef, ici ? C'est LUI !

The king of bling-bling, c'est LUI. Le clip qui déchire, c'est ici.

lundi 8 décembre 2008

La verrine et le jambon blanc

Si je vous dis : qu'est-ce que c'est ça ? Vous allez répondre sans hésiter : c'est du pain, du bon vrai pain au levain, posé sur une table en bois, et derrière il y a des livres - donnez-moi du pain et des livres, cela suffit à mon bonheur !




Et ça, qu'est-ce que c'est ? Facile, c'est de la salade, de la bonne salade verte dans un saladier.



Et ça ? Ben, c'est du jambon blanc - les enfants disent du jambon rose et ils ont raison - du jambon blanc bête, le niveau zéro de la gastronomie, pour les jours où c'est vraiment pas fête. On peut plus ou moins utiliser ça pour se nourrir, ça coûte pas très cher et c'est tout de suite prêt, mais vraiment c'est pas bon, ou plus exactement cela n'a guère de goût. Bon, voici une photo de jambon :





Et ça, qu'est-ce que c'est ? Ce sont des VERRINES, et là je dis stop ! Arrêtons l'invasion sournoise des verrines ! On en trouve désormais partout : dans les buffets pouet-pouet, dans les dîners entre amis, dans les restaus, la verrine a réussi à s'imposer, on ne peut plus y échapper. Mais ça ressemble à rien, ces verrines ! Qu'y a-t-il dedans ? Ben, on sait pas ! Et comme je suis pimpigne, j'aime savoir ce que je mange. Sans compter que dans les buffets, c'est malcommode comme tout à manger : vous tenez votre verrine dans la main gauche (par exemple), la petite cuiller dans l'autre main, vous coincez votre verre entre l'annulaire et l'auriculaire et là, pof ! quelqu'un arrive pour vous serrer la main et comme vous n'avez pas pensé à vous faire greffer une prothèse, vous êtes super embarrassé ! Alors les verrines, j'y touche pas. Et si vous allez dans un restau qui propose des verrines sur sa carte, c'est un signe qui ne trompe pas : vous êtes sûr que ça va être cher, chichiteux et pas très bon.



Ce qui est vert, c'est quoi ? du kiwi ? du concombre ? de l'avocat ? Et le truc blanc qui a l'air tout mou, c'est quoi, hein ? du fromage blanc ? une mousse de je ne sais quoi ? Bbbbbeurk !

Bon appétit tout de même, c'est l'heure de la soupe !

vendredi 5 décembre 2008

Langue piégée

"Die Sprache hat für Alle die gleichen Fallen bereit ; das ungeheure Netz gut gangbarer Irrwege. Und so sehen wir also Einen nach dem Andern die gleichen Wege gehn, und wissen schon, wo er jetzt abbiegen wird, wo er geradeaus fortgehen wird, ohne die Abzweigung zu bemerken, etc. etc. Ich sollte also an allen Stellen, wo falsche Wege abzweigen, Tafeln aufstellen, die über die gefährlichen Punkte hinweghelfen."

(La langue a préparé les mêmes pièges à tous ; un immense réseau de faux chemins, où il est aisé de s'engager. Ainsi voyons-nous les hommes s'engager l'un après l'autre sur les mêmes chemins, et nous savons déjà où ils vont dévier, continuant à marcher droit devant eux sans avoir remarqué la bifurcation, etc., etc. A tous les endroits d'où partent de faux chemins je devrais donc placer des pancartes, qui les aideraient à franchir les points dangereux.)


Ludwig Wittgenstein, Vermischte Bemerkungen / Remarques mêlées (T.E.R., 1990)
Traduit de l'allemand par Gérard Granel

jeudi 4 décembre 2008

Adieu

"ICH KANN DICH NOCH SEHEN : ein Echo,
ertastbar mit Fühl-
wörtern, am Abschieds-
grat.

Dein Gesicht scheut leise,
wenn es auf einmal
lampenhaft hell wird
in mir, an der Stelle,
wo man am schmerzlichsten Nie sagt.
"



"JE PEUX TE VOIR ENCORE : un écho,
palpable par mots-
tactiles sur l'arête
de l'adieu.

Ton visage s'effarouche sans bruit
lorsque d'un coup
il devient clair comme lampe en moi
à l'endroit
où l'on dit au plus douloureusement
Jamais.
"

Paul Celan, Lichtzwang / Contrainte de lumière, in Poèmes traduits et présentés par John E. Jackson (J. Corti, 2002)

mercredi 3 décembre 2008

Gamarth

"Le vol des ans est-ce nuages
La lumière des jours est-ce nos ans ?
Le cours du vent est-ce notre âge ?
hasardeux moment incertain parage
ce vouloir fugace nous agitant
et l'espoir tenace pourtant...

une borne sur un rivage
le rostre d'une seiche, blanc, sur la plage.

Antiquité, vestiges, vain marbre
ce bois délavé qui fut arbre
ce sable qui ne garde mémoire des pas

Et le vent obstinée voix qui parle
depuis l'invention des temps
aux ombres du ciel diaprant
La mer immense verte et jaune pâle."

Jean Cortot, Tableaux dédiés (Maeght Editeur, 1993)

mardi 2 décembre 2008

Ma petite folie



Je le voulais, je l'ai.

Je le sors tendrement de son coffret créé par l'artiste plasticien japonais Aki Kuroda, je le feuillette, joue avec les trois signets aux couleurs vives, laisse glisser mes doigts sur les variations du papier, découvre les cahiers enchâssés qui semblent se cacher, se lover, se protéger ; je me dis que les trois chorégraphies sur le DVD (Annonciation créé en 2003 sur une musique de Stéphane Roy et Antonio Vivaldi ; Les raboteurs, court métrage inspiré par le tableau de Caillebotte ; Trait d'union sur une musique de Bach) , je le regarderai ce soir ; je découvre, surprise, que Angelin Preljocaj, le grand chorégraphe, est aussi peintre ; je m'étonne des partitions qui écrivent la danse. Je vais prendre tout mon temps pour lire le texte de Françoise Cruz à partir ses multiples entrées.

Cette petite merveille, ma petite folie de fin d'année, c'est un livre accompagné d'un DVD, presque un livre-objet, publié par les éditions Naïve. Son titre, à lui seul, agit immédiatement comme un aimant : Angelin Preljocaj, topologie de l'invisible.


lundi 24 novembre 2008

Dépenser, c'est faire des économies

"Qui s'intéresse à l'art, et rassemble la bibliothèque s'y rapportant, se heurte immédiatement à deux problèmes. Le premier est financier : les livres d'art valent, en moyenne, trois ou quatre fois plus cher qu'un livre de texte - et parfois beaucoup plus -, ils ne sont jamais publiés en poche et, une fois épuisés, sont rarement réédités. Leur prix sur le marché de l'occasion peut alors monter très haut. D'où le regret de ne pas les avoir acquis sur le moment, ce qui incite à ne pas commettre la même erreur et donc à multiplier les achats pour ne pas avoir à le regretter plus tard. C'est sans fin. Quant aux catalogues d'expositions, ils ne sont par définition jamais réimprimés une fois l'événement passé. (...) Comment ensuite, à la sortie d'une exposition intéressante, hésiter à acquérir le catalogue ? Cela pourrait même être considéré comme un acte d'économie !"

Jacques Bonnet, Des bibliothèques pleines de fantômes (Denoël, 2008)

mardi 18 novembre 2008

"Ecris-nous"

Lorsque j'ai l'esprit libre, j'écris parfois de petits textes Ou plutôt, j'ai de petits textes qui s'écrivent tout seuls et je les laisse faire. Fragments, poèmes, dialogues, débuts d'histoires - j'aime les commencements, les matins, les épiphanies.

C'est une expérience un peu étrange, très agréable, comme des fruits à bonne maturité qui arriveraient dans ma main et me diraient "mange-nous". Je ne sais pas d'où viennent ces textes, je n'ai jamais été tentée de les travailler. Je sais que je suis lectrice, pas écrivain. Quelquefois, j'ai pourtant envie d'écrire une histoire, une vraie, dont le personnage principal serait un homme qui parlerait à la première personne, une sorte de fausse autobiographie où masculin et féminin tisseraient un texte ambigu. Et je suis sure d'être totalement incapable d'écrire quelque chose qui se rapprocherait de cela.

dimanche 16 novembre 2008

jeudi 13 novembre 2008

Le licou

"Elle leur avait dit tout ce qu'elle savait, savait à moitié, devinait et devinait à moitié, tout jusqu'à la lie, mais elle n'avait pas pleuré, elle ne s'était même pas plainte. Comment se faisait-il qu'elle se soit ralliée si vite à leur camp ? Qu'était-il arrivé à la rebelle en elle, à ses légendaires capacités d'argumentation et de résistance si appréciées du forum familial ? Pourquoi n'avait-elle pas tissé sa toile de mensonges, comme pour Herr Werner ? Etait-ce le syndrome de Stockholm ? Elle se rappela un poney qu'elle avait eu, Moritz. Moritz était un délinquant. Impossible à dresser, impossible à monter. Aucune famille dans tout le Bade-Wurtemberg n'en voulait - jusqu'à ce qu'Annabel en entende parler et, histoire de faire montre de son pouvoir, passe outre l'avis de ses parents et collecte des fonds auprès de ses camarades d'école pour l'acheter. Quand Moritz fut livré, il donna un coup de pied au palefrenier, creusa un trou dans son box avec son sabot et s'enfuit dans le paddock. Mais le lendemain matin, quand Annabel se précipita dehors pour le voir, il avança vers elle, baissa la tête pour accepter le licou et devint à tout jamais son esclave. Il avait fait une ventrée de rébellion et voulait maintenant que quelqu'un d'autre prenne ses problèmes en charge."

John Le Carré, Un homme très recherché (Seuil, 2008) - traduit de l'anglais par Mimi et Isabelle Perrin

lundi 3 novembre 2008

Lisant

"Jusqu'à ce que je parte, tout entier, corps et âme, et même après, encore, quelque chose m'a échappé de cette échappatoire que les livres, à Brive, m'ont procurée. Je lisais. J'avais entre les mains un de ces volumes qui sont, lorsqu'on les ouvre, comme un coin enfoncé dans l'épaisseur du monde. J'étais absenté à moi-même et aux entours immédiats, aux choses qui furent, à l'origine, toutes les choses. Je croyais, du moins. J'ai cru que, par le truchement des livres entrouverts, on accède à ce qui est caché ou différent ou simplement distant. J'ai croisé dans les mers chaudes, combattu à Smolensk. J'ai défendu le fortin, avec Jim Hawkins, volé en direction d'Albert, à trente mille pieds, au côté de Saint-Exupéry, qui avait des attaches en Limousin. Mais en fait, je n'ai jamais quitté Brive. Albert, Smolensk, l'île au trésor, loin de ressembler à ce qu'ils sont, là-bas, dans l'éloignement où ils résident effectivement, lorsque j'ai eu à les imaginer au moyen des signes écrits qui parlaient d'eux, ce fut toujours sous des espèces autres, familières et proches. L'assimilation se faisait à partir d'affinités secrètes, si vite que l'opération m'échappait complètement, comme ces combinaisons chimiques où deux éléments hétérogènes mais très avides l'un de l'autre s'unissent intimement pour engendrer un corps composé où leurs propriétés s'interpénètrent en se neutralisant. C'est bien plus tard que j'ai discerné ce que, lisant, je regardais sans le voir."

Pierre Bergounioux, L'empreinte (Fata Morgana, 2007)

dimanche 2 novembre 2008

Crâneuses vanités

Que faire un dimanche 2 novembre quand il pleut ? Eh bien, se souvenir que le 2 novembre, c'est le Jour des Morts. Voilà un post qui commence bien, me direz-vous ! Désespoir, mélancolie lugubre et tous les trucs trucs dans le genre... Mais non ! C'est le jour idéal pour plonger dans un livre pas triste du tout : Le livre des vanités d'Elisabeth Quin (éditions du Regard, octobre 2008). Un très beau livre à l'iconographie riche (bravo Isabelle d'Hauteville) et à la mise en page tonique, qui nous accueille en habits ironiques de noir et d'argent.




Plus de 350 pages de crânes en tous genres, une figure emblématique de l'absence-présence présentée à travers le temps et l'espace, avec un focus particulier sur les diverses interprétations des Vanités par les artistes contemporains : "Papas" d'Alain Séchas, crânes sculptés dans une pomme, une pastèque ou de la mortadelle, crâne serti de diamants de Damien Hirst, mais aussi bijoux, boutons de manchettes, crânes mexicains en sucre, etc...

Et des paroles d'écrivains, de collectionneurs, d'artistes, comme Miquel Barcelo : "Mes crânes sont des planètes qui ont beaucoup roulé leur bosse. Mais j'y vois aussi des pelotes de laine, la pelote du destin qui se termine abruptement. Le crâne dans mes tableaux s'apparente aussi à une coquille vide, une orange pelée, une grenade explosée, une conque, un objet dé-hiérarchisé, démocratique." Ou Pierre Skira, peintre et historien d'art : "Je peins des instruments de musique, des livres, des crânes. Si j'ai un souci d'exécution ou de composition, j'introduis un crâne et les choses trouvent miraculeusement leur centre de gravité."




En ce Jour des Morts, on pourra aussi rendre visite au ravissant petit cimetière de Chartrier-Ferrière, en basse Corrèze, à la limite des régions Limousin, Aquitaine et Midi-pyrénées.





Enfin, comme la campagne est magnifique en ce moment (pluie ou pas), aujourd'hui une promenade par les chemins creux s'impose. Ci-dessous une photo de l'un de mes préférés, tout près de Chartrier-ferrière.




Voilà, Memento Mori, mais fions-nous aussi à l'Ecclésiaste (VIII,15) : "Et j'ai loué la joie, car il n'y a rien de bon pour l'homme sous le soleil, si ce n'est de manger, de boire et de se réjouir, et cela l'accompagne dans son travail durant les jours de sa vie que Dieu lui a donnés sous le soleil."

jeudi 30 octobre 2008

Education lubrique

En ces temps de morosité enkystée, la parution d'un nouveau livre de Lydie Salvayre ne peut être qu'un antidote salutaire. Le Petit traité d'éducation lubrique (éditions Cadex, 12 € seulement), on le trouve depuis aujourd'hui chez les bons libraires - les autres, il faut les secouer un peu.



Voici ce que promet l'éditeur :

"Ce Petit traité désopilant propose aux hommes comme aux femmes de peaufiner leur éducation des plaisirs charnels : étreinte préliminaire, positions, coutumes amoureuses, culturelles et religieuses... Jubilatoire !

Cette quête du bonheur par la voie libidineuse est, de toutes les traditions philosophiques, la plus ancienne et la plus assurée. Avec un humour pince-sans-rire, Lydie Salvayre nous entraîne dans une joyeuse farandole de références (Schopenhauer, Sainte Thérèse d’Avila, Oscar Wilde, Rousseau...), et de situations cocasses. Ce Petit traité, par ses clins d’oeil malicieux, nous invite à jouir de la vie, et à vivre en jouissant."

Pile poil ce qu'il nous faut !

lundi 27 octobre 2008

Séraphine

"Il y a du tigré, du moucheté, du velu, du chevelu, du rayé, de l'écailleux, du cachemire, des pois, du bariolé, dans les tableaux de Séraphine. On dirait que ça ondule dans les nervures, que ça vibre dans la ramure, que ça grouille dans les fleurs, dans les arbres, les feuilles, les fruits. Des insectes, des oiseaux, des plumes, faisans, paons, pintades apparaissent, se bousculent. Séraphine fait vibrer les teintes, superpose les couches, les empâtements.
Elle se permet tout."

Françoise Cloarec, Séraphine : la vie rêvée de Séraphine de Senlis (Phébus, 2008)

jeudi 23 octobre 2008

Ciels variables

Avant de devenir bibliothécaire, j'étais un jeune homme timide au regard triste. Ma peau de roux, ma mélancolie chronique, mes silences infinis, éloignaient de moi les jeunes filles et faisaient rire les enfants, ces petits êtres à la cruauté sans limite. Je trouvais refuge dans les salles d'étude feutrées des bibliothèques à l'ancienne, peuplées d'érudits absorbés par leurs recherches sur la faune et la flore locales ou la toponymie de la région. Fort naturellement, j'ai fini par prendre racine dans un de ces lieux, où je travaille dans la plus grande discrétion, loin des bruits, chuchotements et écroulements du monde. Mon regard aquatique évite tout contact avec mes congénères.

Elle m'est apparue un matin arc-en-ciel. C'était dimanche, il avait plu, le ciel oubliait sa colère et la chaleur séchait déjà un peu le bitume. Mon voisin, le Chinois, exerçait son art préféré : après avoir trempé son pinceau dans une flaque d'eau, il dessinait des idéogrammes sur le sol, totalement absorbé dans la joie de ses créations si fragiles, si éphémères, dont la disparition semblait rejoindre quelque profondeur de son âme. Peu pressé, comme à mon habitude, je m'étais arrêté pour le regarder et je suis resté là un bon moment, un peu hypnotisé. Lorsque j'ai levé les yeux, je l'ai vue, là, si près, trempée de la récente averse. Elle aussi observait attentivement l'artiste. Elle portait des bottes en caoutchouc vert grenouille et un pardessus irisé sur lequel jouait le soleil. La pluie avait transformé sa chevelure en un étrange tissage d'algues brunes dont des gouttes s'échappaient encore.

lundi 13 octobre 2008

?

que disent ces regards ce sourire quels mots non oui peut-être je fuis tu ris j'ai peur douceur rousseur je pluie dedans tu manges mes yeux je bois tes lèvres ton geste tu ne veux pas c'est sûr non je le savais j'implore ne dis rien rougeur pâleur un ange passe tu joues je joue nous ne voulons rien demain peut-être non oui sourire tes yeux impudence insolence violence je joue à jouer ne pars pas je veux c'est sûr tu ne sais pas je sais j'ignore tout

mercredi 8 octobre 2008

Lucidité

"Der Kreis meiner Gedanken ist wahrscheinlich viel enger, als ich ahne."

(Le cercle de mes pensées est vraisemblablement beaucoup plus étroit que je ne le soupçonne)


Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées (T.E.R. bilingue, 1984)
Traduit de l'allemand par Gérard Granel

lundi 29 septembre 2008

Danser la francophonie


Le festival des Francophonies en Limousin (du côté de Limoges on dit familièrement "les francos") fête ses 25 ans. Initialement dédié au théâtre, il s'est progressivement ouvert à d'autres arts (musique, danse contemporaine, arts visuels), ce qui lui a permis de rencontrer un public plus large, avide de découvrir année après année les propositions d'artistes venus du monde entier.

Personne ne parle le francophone. Existe-t-il un mode de danser qui relèverait de la francophonie ? Eh bien, peu importe : il s'agit là d'une mauvaise question perfide. L'essentiel, comme le dit fort justement Marie-Agnès Sevestre, directrice du festival, c'est que les artistes "viennent stimuler en nous des endroits délaissés par la vie de tous les jours, comme ces petits muscles qu'on ne fait jamais travailler et qui s'atrophient avec le temps".

Des muscles, donc. Et de l'élégance, de la puissance virile, il y en a dans (H)ombres, ballade chorégraphique exclusivement masculine en deux volets.

Ahmed Khemis, chorégraphe et danseur originaire de Tunis, formé au CNDC d'Angers et fortement marqué par le hip-hop, ouvre le bal avec Voyage des poussières, solo pour un danseur en liberté à la découverte de l'espace ouvert de la scène. Et c'est magnifique.

Un homme qui danse, c'est beau. Six hommes qui dansent ensemble, se cherchent, se fuient, construisent et déconstruisent l'espace avec de drôles de boîtes à roulettes, six danseurs fortement marqués (eux aussi) par le hip-hop, et c'est In vivo, "à l'intérieur du vivant", une chorégraphie décoiffante de Mickaël Le Mer. La compagnie, S'poart (prononcer "espoir"), regroupe des jeunes de La-Roche-sur-Yon qui semblent tout surpris de constater à quel point le public apprécie leur performance et vibre avec eux. On sort de là tout délié, c'est bon ! Mention spéciale pour la musique créée par Julien Camarena (Inusable), qui sert remarquablement ce spectacle. Normal, il est fan d'Aphex Twin, Mum et Sigur Ros.



La compagnie Salia nï Seydou avait déjà rencontré un beau succès lors de l'édition 2006 des francos en présentant Un pas de côté avec des musiciens de l'ensemble Ars Nova. Danseurs et chorégraphes, Salia Sanou et Seydou Boro nous viennent du Burkina Faso avec leurs cinq compagnons danseurs et leurs cinq musiciens. Ils ont fondé et dirigent à Ouagadougou le Centre de Développement chorégraphique "La Termitière" et le festival "Dialogues de corps". Ils nous reviennent avec Poussières de sang, créé pour l'ouverture du festival Montpellier Danse 2008, un spectacle qui évoque avec force la violence extrême exercée sur les corps des esclaves, les gestes qui laissent des traces déshumanisantes, avec en contre-point des mouvements tendus en direction de la verticalité. Et là aussi, le public est totalement conquis.

La danse contemporaine "francophone" ne parle pas, elle est en mouvement. Elle bouge, elle est vivante et ça me va !

mercredi 24 septembre 2008

En lisant, en cheminant

The place to be, du 25 au 28 septembre, c'est le Limousin, plus particulièrement la Creuse, plus exactement Guéret, où vont avoir lieu les 3èmes Rencontres de Chaminadour, coordonnées par l'inépuisable arpenteur des lettres qu'est Pierre Michon. Trois jours de conférences et de tables rondes avec (entre autres) Pierre Bergougnoux, Régis Debray, Nathalie Baye, Philippe Le Guillou, pour mettre nos pas dans les pas de Julien Gracq. Un programme de rêve !


lundi 22 septembre 2008

Les noms

"En novembre 1937, dans sa ville natale de La Corogne, le gouverneur envoie une lettre au président de l'audience en lui proposant de prendre la décision d'arracher et d'éliminer la feuille du Registre officiel de l'état civil où figure le nom de Santiago Casarès Quiroga. Afin de le soumettre à un châtiment jusqu'alors inconnu. Faire disparaître son nom." (p. 169)

"La coccinella septempunctata, explique-t-il, est avec le ver luisant l'insecte qui possède le plus de noms en Galice. Pourquoi ces deux-là ? La coccinelle est appelée reirrei. On l'appelle aussi maruxiña. On l'appelle papasol. On l'appelle barrosiña. On l'appelle costureira. On l'appelle voaniña. Plus la taille des choses est petite et plus les choses portent de noms. Dans ses Histoires naturelles, Jules Renard n'explique-t-il pas lui-même que la vérité est de petite taille ?" (p. 170)

Manuel Rivas, L'Eclat dans l'Abîme. Mémoires d'un autodafé

dimanche 21 septembre 2008

Réveil d'une paresseuse

Ne pas bouger.
Surtout, ne pas ouvrir les yeux.
Deviner si c'est encore la nuit ou déjà le jour.
Se dire que c'est dimanche.
Qu'il y a tout ce qu'il faut pour le petit déjeuner.
Qu'à midi on mangerait bien des sushis.
Qu'on pourrait aller faire une petite randonnée.
Ou au cinéma avec une copine.
Qu'il faut appeler sa mère.
Avoir envie de pisser.
Se dire que ça peut attendre.
Se demander quelle heure il est.
Compter les sons de cloche de l'église au loin.
A partir de 5, penser à autre chose. 6, 7, 8, 9, 10 ?
S'en foutre.
Bouger très lentement un seul orteil.
Adhérer totalement au drap.
Détendre une jambe et déplacer un seul pied.
Se dire qu'il fait peut-être froid dehors.
Déplier sa colonne vertébrale.
Entrouvrir une seule paupière.
Vérifier s'il y a un rayon de soleil entre les persiennes. Oui.
Refermer la paupière et ne pas ouvrir l'autre.
Se tourner de l'autre côté.
Se rendormir.
Oublier que l'on s'est déjà réveillée.

samedi 20 septembre 2008

Vacance heureuse

Enfin un week-end long. Trois grandes belles journées vacantes pour oublier les tracas de boulot, jusqu'à mardi 9 h. Bonheur des bonheurs : le cyber-espace diffuse en ce moment "Baby Blue" de Martina Topley-Bird - toujours de la bonne musique, ici.

Complètement happée par le roman de Manuel Rivas. Je me demande pourquoi l'éditeur (Gallimard) n'a pas conservé le titre original : Los libros arden mal = Les livres brûlent mal, non ?

Je viens d'interrompre ma lecture (pour ne pas terminer trop vite) juste avant la page 100, après avoir lu ceci :


"Le mutisme des choses, pensa-t-il. Les choses se taisaient et parlaient. C'était, pour ainsi dire, une pensée fort simple, mais qu'il n'était cependant pas facile d'atteindre. Une pensée qui se trouvait là, telle une bouée immergée, et il fallait s'y accrocher à tout prix.
Il y avait l'éloquence des choses et le mutisme des choses. Oui, il y avait ces deux perceptions qui pouvaient tout à fait caractériser un poème ou un tableau. L'une, l'éloquence des choses. Capter l'éloquence des choses, leur aura expansive, leur désir de dire, et le traduire en langage de la lumière ou des sons. L'autre, le mutisme des choses. Leur façon de se cacher. De s'absenter, de se vider. De se perdre. Refléter ou raconter, c'était une autre émotion. Le premier art procurait une émotion frontale. Le second vibrait au niveau des lombaires.
Un instant. Et, dans le mutisme des choses, on pouvait aussi distinguer deux sortes de silences. Le silence amical, qui nous accompagne, où les mots peuvent se distraire, et l'autre silence. Celui qui fait peur. Rosalia de Castro baptisa ce silence le "silence muet", expliqua Huici."

Juste une petite course à faire à toute allure, et je reprends mon livre. Tout y est, je ne demande rien d'autre. J'y consacrerai sans doute un billet plus long (peut-être une critique pour Babelio).

vendredi 19 septembre 2008

Propriété

"Le français, nous l'avons payé cher.
Maintenant, il nous appartient."

(Djibril Diop Mambéty, réalisateur sénégalais)

mercredi 17 septembre 2008

Bouger

"Si la sublimation est la condition la plus fondamentale de notre vie psychique, ceci revient à dire que la vie psychique ne peut se réaliser que dans l'errance, dans les déplacements non cadrés qu'elle institue. L'homme normal est paradoxalement un homme sédentaire dont l'activité mentale consiste à refuser tous les mouvements qui ne rentrent pas dans la norme qu'il s'est lui-même fixée. La maladie de l'homme normal est une maladie de l'homme immobile. Savoir bouger dans sa tête c'est contribuer à lever cette maladie."

Guillaume Le Blanc, Les maladies de l'homme normal (Vrin, coll. "Matière étrangère", 2007)

vendredi 12 septembre 2008

J'ai mes limites

J'ai failli m'acheter un ordinateur. Un beau petit portable, léger, fonctionnel, etc... Actuellement, j'utilise un ordi au boulot pour mes besoins professionnels ; pour mes besoins privés, je vais dans des cyber-espaces. Je me sens bien dans ces endroits, qui sont des lieux de socialité, et où je ne suis pas enquiquinée avec des problèmes techniques. Il me suffit de choisir ma place (si possible pas trop loin d'un mec mignon), de rentrer mon identifiant et mon mot passe, et hop ! ça marche comme je veux. Pas de soucis : le grand confort moderne !

Bon, j'avais mille euros et un peu de temps. Je suis donc allée dans des magasins comparer les modèles et les prix. Puis je suis allée à France Télécoms pour faire installer une ligne téléphonique chez moi (j'ai juste un téléphone portable, celui avec lequel je fais aussi, de temps en temps, des photos). Je me suis installée dans la file d'attente la plus courte : cinq personnes. J'ai attendu près d'une heure. Attente instructive : tous les gens qui attendaient avec moi étaient là pour des problèmes de connection internet. Plus le temps passait, plus j'écoutais les uns et les autres et plus mon enthousiasme s'estompait. Mon tour est enfin arrivé. Installer une ligne de téléphone et vouloir internet chez soi, cela ne se fait pas comme ça. Evidemment, je n'avais pas les papiers nécessaires. Et, cerise sur le gâteau, j'ignore si j'habite l'appartement n° 8 ou n° 7. Et honnêtement je me fiche de savoir si je vis au 7 ou au 8. Il me restait à faire des fouilles dans mon foutoir à papiers importants pour trouver l'info, ou à passer à l'agence ou à leur téléphoner. Je ne l'ai pas fait.

Après réflexion, je n'achèterai pas d'ordinateur. Avec les mille euros, je vais me faire plaisir avec quelque chose de plus utile : acheter des livres et des CD (résolument ringarde, j'en achète encore), partir me balader en Galice, renouveler ma garde-robe qui en a bien besoin, ou quelque chose comme ça. Après tout, je suis déjà très bien équipée en électro-ménager : j'ai un réfrigérateur, une gazinière, un grille-pain, une télé (je m'en suis passée pendant des années), un lecteur-enregistreur de DVD, une mini-chaine et une voiture. Ca me suffit largement. Si les concepteurs et vendeurs de bidules dont je n'ai pas besoin veulent me convaincre, il va falloir qu'ils fassent un petit effort !

mercredi 10 septembre 2008

Dans mon pays (4)

Notre Président, Ed Vige, est très amoureux de son épouse, Edvige. Nous l'appelons affectueusement Mam Edvige. C'est notre Ministre des Libertés Individuelles et de l'Insécurité Sociale. Elle nous connaît tous personnellement ; personne ne s'aviserait de lui cacher quoi que ce soit. Pourtant, elle se méfie et pense que nous sommes de dangereux hypocrites. Aussi, elle nous surveille. En permanence. Rien ne peut et ne doit lui échapper ! "Edvige veille, vous surveille et vous réveille", tel est son slogan.

A suivre...

De l'air !

"La part féminine réclame en chacun une plus grande attention aux détails du réel et à une certaine mélodie des choses sous-évaluée chez les penseurs à système. J'ajoute que tout penseur à système étant paranoïaque, le moindre interstice susceptible de laisser filtrer la contradiction lui apparaît comme un danger potentiel, voire mortel, pour l'ensemble de sa théorie. Généralement, il s'empresse de le colmater avec les moyens du bord, y compris les plus aventureux. D'où une pensée bancale, pesante et dogmatique, une pensée sans aération. Pour faire circuler un peu d'air dans un système, il est nécessaire de poser comme postulat son approximation, donc son inachèvement et la possibilité d'une adaptation tenant compte des objections."

Georges Picard, Le philosophe facétieux (Corti, 2008)

mardi 9 septembre 2008

Bientôt des humanithèques ?

Si l'on en croit AkaSig, il sera bientôt possible, en bibliothèque, d'emprunter des personnes avec lesquelles on pourra passer une demi-heure ou trois quarts d'heure à discuter. Cette idée me semble excellente et je me demande comment elle a pu ne pas naitre plus tôt (même si j'ai tout d'abord cru à un gag) !

A chacun de choisir l'objet de son emprunt, comme on le fait actuellement pour les livres, la musique ou les films : poète bavard, collectionneuse compulsive, philosophe facétieux, grand-mère rockeuse, artiste conceptuel, père de famille nombreuse, japonaise mystérieuse, marocain cuisinier, punk timide, l'offre devra être diversifiée pour satisfaire tous les publics. Il ne faudra pas oublier de ramener la personne empruntée à l'heure prévue... à moins que cette offre ne soit limitée à la consultation sur place pour éviter les pertes et les dégradations ?

Un vrai défi en perspective pour les bibliothèques !

Rentrée littéraire buissonnière en Limousin

Un éditeur ami, Le bruit des Autres, a la bonne idée d'organiser chaque année une "rentrée littéraire buissonnière" pour mettre en valeur le travail de "petits" éditeurs (petits par la taille, grands par la qualité).



La 3ème édition aura lieu du 18 au 21 septembre à Limoges (chapiteau place de la Motte) et en Limousin. Originalité de ce sympathique salon : des lectures vagabondes sont organisées dans des trains et des gares de la région.

lundi 8 septembre 2008

Bonnes nouvelles de la rentrée

Le (volumineux) roman de Manuel Rivas, Los libros arden mal, sort enfin en traduction française dans quelques jours chez Gallimard, sous le titre L'éclat dans l'abîme : mémoires d'un autodafé (688 pages - traduit de l'espagnol par Serge Mestre).




Voici ce que nous en dit l'éditeur : "Huit ans après Le crayon du charpentier, voici le nouveau roman de Manuel Rivas, sans doute la plus riche et la plus vaste fresque qu'il nous ait donnée sur la Galice. Au coeur du récit, un fait historique : l'autodafé qui a eu lieu sur le port de La Corogne le 17 août 1936, quelques semaines après le "pronunciamento" du général Franco et le début de la guerre civile espagnole. Ce jour-là, des centaines de livres provenant des bibliothèques publiques et privées de Galice ont été brûlés devant les habitants de la ville par des militants de la Phalange - le parti fasciste espagnol. Mais les livres brûlent mal, on le sait, et du bûcher se sont détachées quelques pages, une couverture, une illustration, qui soudain se sont mises à danser dans le vent et ont échappé aux flammes. En bon poète, Manuel Rivas nous invite à suivre les vagabondages de ces bouts de papier. En bon romancier, il nous raconte les mille et une histoires qui s'y cachent. (...)"


Une bonne nouvelle ne va jamais seule



J'avais vu il y a quelques années, à l'occasion d'un festival de cinéma africain, un film coup de poing très poétique, un grand conte cruel sur la lâcheté et la vengeance, dont j'avais totalement oublié le titre et le nom du réalisateur. Je me souvenais juste que c'était une adaptation de la pièce de théâtre du dramaturge suisse Friedrich Dürrenmatt La visite de la vieille dame. Il vient juste de sortir en DVD en commémoration du 10ème anniversaire de la mort du réalisateur : il s'agit de Hyènes de Djibril Diop Mambéty. Il est un peu cher (39 €), mais je vais avoir grand plaisir à le revoir en V.O. (wolof).


Enfin, Transfuge devient mensuel. Bonne nouvelle, même s'il perd un peu de sa singularité en abandonnant sa spécificité littératures étrangères pour se rapprocher d'autres magazines culturels généralistes.


Tout ça, ça fait un bon lundi !

dimanche 7 septembre 2008

Dans mon pays (3)

Dans mon pays, il y a un ministère de l'hypocrisie. Non, ce n'est pas tout à fait exact. Pas de ministère (un ministère de l'hypocrisie, ce serait paradoxal) ni de ministre dûment nommé et missionné. Pas de loi imposant l'hypocrisie. Inutile : elle existe par elle-même et chacun de nous contribue à la faire vivre. Nous participons tous et la nourrissons abondamment. A ceux qui refuseraient - nous les traitons d'intellos, pour bien montrer notre désapprobation - nous faisons comprendre subliminalement qu'ils prennent des risques et qu'ils peuvent se faire canarder par la communauté. Car nous avons l'instinct grégaire, oui, et rien ne nous procure plus de plaisir que les lynchages collectifs. Telles des hyènes, nous nous jetons en meute sur l'individu isolé, celui qui nous semble affaibli. Et nous l'étripons joyeusement. C'est notre sport favori, encouragé par les plus hautes instances. Encouragement subliminal, bien entendu, puisque nous sommes entre hypocrites

Personne ne sait depuis quand nous marchons sur la tête, ni si nous avons de tout temps été hypocrites ou si c'est une évolution naturelle destinée à préserver l'espèce. Les historiens sont occupés ailleurs : depuis des siècles et des siècles, ils sont tous mobilisés par un grand oeuvre collectif pour lequel ils utilisent tous les outils du web 6.6.6. En tant que citoyenne très ordinaire, j'ignore tout de l'objet de leurs recherches. Ed Vige, notre président, notre tête penseuse - les intellos disent qu'il pense comme un pied puisque sa tête lui sert à marcher ou plutôt à tituber - fixe lui-même le contenu des recherches, les objectifs à atteindre et les moyens à mobiliser pour y parvenir.


A suivre...

samedi 6 septembre 2008

Dans mon pays (2)

Notre président, Ed Vige, veille sur nous à chaque instant : il est le garant de la normalité des citoyens. Il a créé un Ministère des Démarches Débiles pour que nous puissions mieux nous moquer de ceux qui hésitent encore à marcher sur la tête, au premier rang desquels - on nous le dit et le redit - figurent les intellos, ces déchets de notre société.

A suivre...

Dans mon pays

Nous, dans mon pays, on marche sur la tête. Je ne dis pas ça pour me vanter : marcher sur la tête, ce n'est pas très pratique si on veut aller loin, vite et bien. Mais ça tombe bien, nous, on ne veut pas aller loin, vite et bien. Quand on voit des gens qui marchent sur leurs deux pieds, on les flingue. On les trouve arrogants, alors on leur tire dessus.

Chez nous, c'est carnaval tous les jours. Inversion de toutes les valeurs. Ce qui est en haut, on dit que c'est en bas. Ce qui est à gauche, on fait comme si c'était à droite. Si quelque chose est, par exemple, très laid, on dit que c'est très beau. Et ainsi de suite pour tout.

Dans mon pays, il y a des écoles et des bibliothèques, mais on n'aime pas les intellos. D'abord parce qu'on ne sait jamais s'ils marchent sur leurs pieds ou sur leurs têtes, s'ils sont à l'endroit ou à l'envers. Quand ils ont la tête en l'air, on essaie de les flinguer ; si on n'y arrive pas, on se moque d'eux pour qu'ils comprennent bien que le bon sens, c'est d'être à l'envers.


A suivre...

vendredi 5 septembre 2008

Dans la cuisine

J'habite dans un pays assez peu démocratique.
Aujourd'hui, l'unique journal quotidien local, fidèle reflet de la ligne politique officielle, titre sur la crise ovine : les moutons deviennent moins consensuels.
J'ai vu dans un magasin un "moulin à gelée" ; je me demande qui a ce genre d'instrument de torture dans sa cuisine.

J'fais pas de politique, mais je pense qu'il faudrait politiquer à coups de marteau.

mercredi 3 septembre 2008

Dilemme

Lorsque j'ai créé ce blog il y a deux mois, il faisait suite à un blog privessionnel collectif un peu fourre-tout, où j'étais beaucoup plus présente que les autres auteurs. Il me semblait plus sain de ne pas mélanger ce qui relève de la vie professionnelle et ce qui s'en écarte. "La langue des papillons", c'était pour moi un petit nid douillet, tout doux, parfois fantasque et impertinent. Je pouvais y déposer des choses que j'aimais et laisser toute lattitude à la touriste paresseuse qui se cache pas très loin dans un coin de mon âme.

J'ai ensuite et parallèlement mis en place un autre blog, strictement professionnel celui-là. Un vrai biblioblog collectif, avec une ligne éditoriale claire et comme objectif principal d'inviter toute l'équipe avec laquelle je travaille à mettre les mains dans le cambouis du web 2.0 tout en présentant une vision kaléïdoscopique du fonctionnement d'une bibliothèque de quartier. Un biblioblog collectif non institutionnel, afin que chacun soit libre de sa parole - il ne s'agissait surtout pas de parler d'une seule voix... L'aventure aura duré un mois, un joli mois d'août. Ce genre d'initiative, j'en ai conscience, relève de la transgression et il nous aurait fallu une grande force individuelle et collective pour qu'elle perdure. Il n'existe plus depuis hier. Je pense que pour les quelques collègues qui y ont participé, ce blog a été l'occasion de découvrir quelque chose de totalement neuf - il en restera bien quelque chose !

Je me retrouve donc à nouveau sans blog où aborder des questions professionnelles. Il va falloir que je trouve une solution : soit je m'en passe (après tout, pourquoi pas), soit je reviens, avec celui-ci, à un blog privessionnel individuel (mais cela change complètement sa nature), soit j'utilise un autre blog que j'avais laissé en friche (j'suis sérial-blogueuse), soit j'en crée encore un autre (à force, je vais relever de la psychiatrie). Je me donne quelques heures pour réfléchir, mais il faut vraiment que j'arrive à stabiliser quelque chose dans ce domaine !

Petit indice : j'ai installé ce matin dans la marge ma liste de partage Google Reader, qui penche nettement du côté professionnel.

L'autre question qui se pose est celle de l'anonymat : lorsque je parle de questions professionnelles, je préfère utiliser mon vrai nom, lorsque je suis plus dans le domaine de l'imaginaire j'aime bien m'inventer des personnages, le ptylonorhynque par exemple - si je l'abandonne, que va-t-il devenir, lui qui ne figure même pas dans le Petit Robert ?

lundi 1 septembre 2008

La machine à remonter le temps des cerises

A regarder avant que l'été ne s'achève, une exposition ponctuelle et virtuelle, belle et drôle, de Boris Pasmonkov. Rien que des photos succulentes de cerises pour prolonger les mois des fruits rouges

Un sorcier

"Le sorcier possédait ce genre de physique qui, jeune, semblait déjà vieux, et devenu vieux, avait tendance à ressembler de plus en plus à une momie en bonne santé. Son corps avait l'apparence sèche et coriace de ces arbres maigres qui poussent au milieu des savanes arides. Sa morphologie était particulière : son torse était bâti sur une charpente qui ne ressemblait à aucun squelette connu jusqu'ici, les épaules étaient rabotées, inexistantes.
"On dirait une grenouille", pensa Bamba. Un petit ventre proéminent et des jambes maigres cachés par un vieux pagne prolongeaient le personnage vers le bas."


In Koli Jean Bofane, Mathématiques congolaises (Actes Sud, 2008)

samedi 23 août 2008

Vacances

L'automne approche : le froufrou des feuillages devient plus sec. Je repars en vacances pour un petit supplément de promenades et de bronzette. Juste une semaine loin du mauvais temps. Des livres et des bikinis, pas d'ordinateur. Je lirai mes blogueurs préférés à mon retour.

vendredi 22 août 2008

Eloge du rouge

"Les bleuets de l'enfance étaient-ils aussi bleus que le bleu presque fou qui est dans la mémoire ?
Les coquelicots d'alors parlaient en rouge franc, en chevaliers errants, la langue maternelle
Petite soeur en canicule qui ne savait, ne sait rien que le rouge, son rire travailleur et, si malheur survient, beau courage.
Dans les champs éblouis, elles sont encore vives les vacances, aussi vastes, aussi blondes dans les couleurs
Que tu l'avais promis, espérance dans les ténèbres
Quand aux vitres sensées, insensées du poème, la matière
Antigone
A l'orient s'est éclairée
."

Henry Bauchau en collaboration avec Myriam Watthee-Delmotte, L'atelier spirituel (Actes Sud, 2008)

jeudi 21 août 2008

Incertitude

France-Culture ce matin au réveil : "Il sera bientôt 7 heures et nous sommes mercr... euh... peut-être... jeudi... 22 août ?"

Alors, bonne journée à tous !

mercredi 20 août 2008

Les SS et la poupée

"L'un des passagers, un très petit Américain trapu, compact, dont les cheveux teints en noir formaient une pointe sur le front, se disputait avec l'inspecteur. Il agrippait un paquet de la taille d'une boîte à chaussures qu'il ne voulait pas laisser examiner. Je l'ai fait emballer spécialement ! protestait-il. Deux des SS s'avancèrent et se placèrent derrière l'inspecteur. L'Américain s'inclina sans discuter davantage. L'inspecteur défit le papier d'emballage brillant en prenant soin de ne pas le déchirer puis ouvrit la boîte. A l'intérieur se trouvait une poupée en porcelaine de Dresde. C'est pour ma fille, déclara l'Américain. L'un des officiers SS fit un pas en avant, sortit la poupée de la boîte, la passa dans la machine à rayons X et la rapporta. L'inspecteur prit la poupée des mains de l'officier, souleva la robe et sourit. C'est une fille, dummkopf, lança l'Américain. C'est ce que je vois, répondit l'inspecteur en lui rendant la poupée."

Russell Banks, La réserve (Actes Sud, 2007)

mardi 19 août 2008

Traumatisés, unissons-nous !

Merci à Agathe de m'avoir signalé l'existence d'un nouveau club : celui des traumatisés par les couvertures des Presses universitaires de France (déjà 300 membres au 7 août). C'est vrai que tous ceux qui ont fait quelques études se sont trouvés un jour ou l'autre face à face avec ces horreurs. Mais pourquoi tant de haine ?

Moi, j'ai eu celui-ci, par exemple et parmi d'autres :



Le neurochirurgien

"Le médecin mesurait pratiquement trente centimètres de moins que Jordan, et il commençait à se voûter fortement, ce qui le faisait paraître encore plus petit. Son visage pâle et son corps rond étaient mous, comme remplis de gelée, mais il avait de belles mains blanches et de longs doigts minces. Evidemment, des mains de chirurgien, se dit Jordan. Sa poignée de main était rapide et prudente, il retirait sa main aussi vite qu'il la donnait, sans pression amicale ni étau viril. Chez un autre homme, Jordan l'aurait trouvée efféminée. Mais ici elle lui paraissait simplement prudente. Il protège son outil de travail."

Russel Banks, La réserve (Actes Sud, 2008) - traduit de l'américain par Pierre Furlan

lundi 18 août 2008

Le Coux et Bigaroque : des amours de voitures

Les belles rencontres sont souvent le fruit du hasard - c'est ma pensée-cliché de la journée.

L'autre jour, je me suis arrêtée à l'entrée du village de Le Coux et Bigaroque (jumelé avec Schoenau en Alsace) pour faire une photo car je trouvais ce nom très joli.




Mon regard a alors croisé ça et je me suis dit que ma petite Fox était peut-être mal garée



J'ai vite été attirée par les voitures (épaves ?) qui se trouvaient là :



Rien que des "dedeuchs" ! Le garagiste est sorti quand il a vu que je prenais des photos et nous nous sommes mis à discuter. Ce passionné s'est spécialisé dans la rénovation de 2 CV, qu'il récupère dans cet état-là et transforme en carrosses (compter entre 8000 et 10000 euros pour un superbe bolide qui vous fait son 100-110 km/h quand il est bien lancé). Il ne faut pas être trop pressé : son carnet de commandes est plein pour plusieurs mois. A la manière dont il parle, on sent de l'amour, le goût de l'art, le sens du détail... Il a sur chacune de petites anecdotes, heureux de les avoir sauvées de la disparition. Un vrai bonheur.


Allez, encore deux photos de ces dames en attente de toilettage





Il a aussi d'autres modèles, comme cette minuscule Vespa qui, il y a une cinquantaine d'années, accomplissait chaque été le trajet Le Coux et Bigaroque - île d'Oléron, chargée de toute une famille de cinq personnes. Vu la taille du coffre, ils ne devaient pas emporter beaucoup de linge de rechange ! Je l'imagine bien en train de fumer et de pétarader sur la route des vacances !


dimanche 17 août 2008

Crocs mignons chez Cro-Magnon*

De retour au nid après quelques jours à sillonner les petites routes du Périgord Noir, le pays de Cro-Magnon.
Et une adresse que je recommande aux gastronomes, mais plutôt aux gros mangeurs qui n'ont peur de rien : La table du terroir à La Chapelle Aubareil, pas très loin de Montignac.
Voici par exemple le petit menu à 18 euros : soupe, assortiment de foie gras et de rillettes, cassoulet maison au confit de canard, pommes de terre à la sarladaise, fromage et dessert. Et lorsque l'on vous amène l'addition, on vous demande : "Vous avez eu assez ?" - sans doute de l'humour cromagnonesque...

Ce qui est formidable à cet endroit, c'est (en plus de tout le reste) que l'on peut rester pour digérer en faisant la sieste à l'ombre des grands arbres et/ou se baigner dans la piscine.




* Je peux faire encore pire, je le jure...

jeudi 14 août 2008

Road-movie à travers la Belgique


Le film de Bouli Lanners, Eldorado, rencontre un vrai succès public en France (100 000 entrées les quatre premières semaines) et en Belgique, avec des perspectives de carrière internationale (Etats-Unis, Canada, Italie, Allemagne, Israël,...). Ce n'est que justice ! Voilà bien longtemps que je n'avais pas vu un aussi beau film déjanté comme je les aime, avec un petit quelque chose qui ressemblerait à l'ironie de Noi albinoi ou de Kitchen Stories et un zeste de flottement mélancolique de l'âme comme chez Aki Kaurismäki.

Synopsis : Yvan, dealer de voitures vintage, la quarantaine colérique surprend le jeune Elie en train de le cambrioler. Pourtant il ne lui casse pas la gueule. Au contraire, il se prend d’une étrange affection pour lui et accepte de le ramener chez ses parents au volant de sa vieille Chevrolet. Commence alors le curieux voyage de deux bras cassés à travers un pays magnifié.


mercredi 13 août 2008

Un homme tombé en amour

"Il s'était trouvé amoureux avant même de reconnaître ou de comprendre ce qui lui arrivait. Quand il avait perçu son trouble, le mal était fait depuis longtemps, il était tombé dans l'amour. C'était une chute vertigineuse. Il était pris en entier par l'idée de cette femme qui avait les cheveux comme un buisson et les lèvres mouillées par la lecture. Une gadjé ! Le songe est une autre manière de vie et la part de rêve que peut accepter l'esprit est grande. Angelo n'avait pas plus l'expérience du rêve que celle de l'amour : il fut balayé par le songe amoureux. La pensée d'Esther ne le quittait pas. Il habitait en rêve une terre qui n'existait pas pour lui, et cette terre s'appelait Esther pleine d'enfants, de livres, et de mots roulés dans une bouche charnue de femme en pleine floraison. Il se couchait pour rêver tranquille. Il s'appliquait à ne penser qu'à cette femme : la visualiser dans d'hypothétiques situations où ils auraient été ensemble. Il lui parlait, murmurait des choses qu'il n'avait jamais dites. Elle répondait les mots qu'il inventait pour elle. Il partait s'assoir sur une pierre, calait ses fesses dans un creux de son relief. Assis à ne rien faire, il pouvait le rester plusieurs heures, lorsque personne ne cherchait après lui. La vie prenait moins d'importance puisqu'il avait en lui cet amour. Il rêvait de cette face veloutée, avec ces surfaces étonamment larges pour ce qui n'était qu'un visage. Les joues d'Esther, pensait-il, étaient rondes et lisses comme des fesses, il devenait fou. Il connaissait chacun des instants où ils s'étaient parlé. Il avait repris et ressassé chaque mot. Rien n'avait pu se perdre (mais tout s'était usé). Sa mémoire était méticuleuse. Et il vivait lové dans cet amour en forme de néant qui avait pris en lui comme une graine, ivre des promesses qu'elle portait sur elle sans le savoir, avec la grâce des innocentes."

Alice Ferney, Grâce et dénuement (Actes Sud, 1997)