Blog vagabond, culturel et champêtre

jeudi 31 juillet 2008

Mystère masculin

Je ne voulais pas parler travail sur ce blog, mais je vais tout de même raconter une petite anecdote qui me laisse perplexe et au bord du rire.

Bartleby (ce n'est pas son vrai nom, je l'ai surnommé ainsi à cause de sa ressemblance avec le personnage créé par Herman Melville) Bartleby, donc, est contractuel, en comblement de temps partiel. Depuis bientôt trois ans que nous travaillons ensemble, il maintient avec moi la plus grande distance possible, affichant clairement sa volonté de n'avoir ni Dieu ni maître ni chef de service. A la fin de l'été, il va rejoindre un autre site et, donc, me quitter. Je pensais qu'il en serait ravi. Eh bien non ! "A force, j'avais fini par m'habituer à toi" m'a-t-il dit. C'est bien la première fois qu'un homme me rend un hommage aussi étrange...

mercredi 30 juillet 2008

Dordogne, été, lumière

Comment naissent les noms ?

"Les noms et les mots bizarres se fabriquent par associations d'idées, de sons, de langues, listes, séries, découpages, brassages, réassemblages, déclinaisons, télescopages, oppositions, court-circuitations, inversions, improvisations, recherches laborieuses (jusqu'à quinze jours pour un mot), logorrhées anarchiques, illuminations, exaspérations."

Lucie Cauwe, Ponti Foulbazar (L'Ecole des Loisirs, 2006)

mardi 29 juillet 2008

Nature, Jura, lumière



A retrouver sur le blog Ecritures du monde, des photos de Guy Serrière (exposition "Jura en couleurs, trois saisons du monde"), dont celle-ci, éblouissante

Choses

"D'ici dix ans, les objets fonctionnels de nos maisons seront remplacés par des services immatériels. Alors, nos maisons seront remplies seulement de choses sentimentales."

Philippe Starck in Metropolitan Home (2006)
Cité par Christian Salmon, Storytelling (La Découverte, 2007)

lundi 28 juillet 2008

Management

"Cette histoire, c'est celle de l'invention du storytelling management, une nouvelle école de gestion apparue au début des années 1990 aux Etats-Unis et qui prône l'introduction dans l'entreprise de griots ou de conteurs. Car il faut tout réapprendre : penser, agir, travailler en réseau, gérer la distance, former des équipes nomades, maîtriser la surabondance d'informations, s'adapter à la vitesse des affaires en temps réel... Il y a des innovations qui engendrent des "e-transformations" et des préjugés tenaces qui font perdre des millions de dollars. Fini les présentations PowerPoint, les check-lists, les argumentaires fastidieux. Place au storytelling !
Pour Steve Denning, un ancien dirigeant de la Banque mondiale devenu l'un des gourous les plus actifs du nouveau management, la raison du succès du storytelling est simple : au milieu des années 1990, "plus rien ne marchait"." (p. 47)

Christian Salmon, Storytelling : la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (La Découverte, 2007)

Cliché

Tentative de définition -
Le cliché est un animal domestique de la catégorie frotteur-collant, qui se précipite dès que l'on veut dire ou écrire quelque chose, dans l'espoir d'être, une fois de plus, choisi. Il convient de s'en débarrasser, éventuellement par la violence, si l'on veut avoir une chance de voir apparaître des animaux plus sauvages, rétifs, timides.

dimanche 27 juillet 2008

Propos paresseux d'un dimanche matin

J'aime bien travailler quand tout le monde est en vacances, et vacancer quand tout le monde est au travail.


samedi 26 juillet 2008

Non à Edvige


Ci-dessous le texte de la pétition exigeant le retrait de cette loi très inquiétante. Moi, j'ai signé. Un collectif va sans doute se mettre en place en septembre. A lire aussi, l'article du Contre-journal de Libé.

Sans débat public préalable, le gouvernement, par un décret publié au Journal officiel du 1er juillet 2008, a considérablement accru les capacités de fichage de nos concitoyens. Ce fichage sera assuré, à l’avenir, par la Direction centrale de la sécurité publique (fusion des Renseignements Généraux et de la DST).

A cette fin, un nouveau fichier policier sera mis en place sous le nom d’EDVIGE (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale). Il recensera, de manière systématique et généralisée, toute personne « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ». Sans exception, toutes les personnes engagées dans la vie de la cité sont donc visées.

En outre, ce fichage vise à permettre la collecte de renseignements identitaires sur les « suspects » (personne mais également groupe) simplement considérés, par la police, comme susceptibles, à l’avenir et de manière totalement hypothétique, de porter atteinte à « l’ordre public ».

Il permettra de compiler toutes les notes de renseignements telles que : état civil, photographie mais aussi fréquentations, comportement, déplacements, appartenance ethnique, vie sexuelle, opinions politiques, philosophiques, religieuses, appartenances syndicales et associatives …

La police sera autorisée à consulter ce fichier en cas d’enquêtes administratives pour l’accès à certains emplois.

Les mineurs ne seront pas épargnés puisque fait sans précédent dans notre République et particulièrement choquant, leur fichage sera autorisé dès l’âge de 13 ans et cela sans qu’aucune infraction n’ait été commise et sur la seule base de leur dangerosité présumée.

Cette initiative gouvernementale, porteuse à l’évidence de nombreuses dérives, s’inscrit résolument dans le cadre de la mise en place d’une politique sécuritaire ouvertement revendiquée.

Le gouvernement est passé outre aux réserves émises par la Commission nationale Informatique et Libertés concernant ce fichier qui, dès sa parution, a suscité les plus vives réprobations de multiples organisations associatives, syndicales et politiques.

Dounia, dianfa, kounandi, koronoko, Tchamantché

Le nouvel album de Rokia Traoré, Tchamantché, est tout simplement divin. Une merveille de finesse avec des chansons en français et dans je ne sais pas quelle langue africaine. Cette chanteuse a vraiment la grâce.

Voici les paroles d'une chanson que j'aime particulièrement : "Zen"

L'angélus a sonné / un chien s'endort à mes pieds / j'ai eu le courage / de ne rien faire.
Les heures sans heures / ont glissé / sur l'horizon / n'emportant que ce jour / j'ai eu le courage / de ne rien faire.
Zen / je suis / zen
Que les ans passent / que le temps s'y fasse / moi ça y est je m'en défais / de ces heures gloutonnes / qui me mangent tous les jours.
Zen / je suis zen / zen, ô que je suis zen
Je mange la vie et le vent / je danse sous les averses / et le matin, fatiguée / je remplis mes paumes de rosée / et je laisse le ciel se poser sur mes cils.
Zen / ô que je suis / zen
Que le temps passe / que les heures s'enchaînent / moi jour après jour / je m'offrirai le plaisir / de ne rien faire
Zen / ô que je suis / zen
L'angélus a sonné / un chien s'endort à mes pieds / j'ai eu le courage / de ne rien faire.
Les heures sans heures / ont glissé / sur l'horizon / n'emportant que ce jour / j'ai eu le courage / de ne rien faire.
Zen / ô que je suis / zen (bis)
Que les ans passent / que le temps s'y fasse / moi ça y est je m'en défais / de ces heures gloutonnes / qui me mangent tous les jours.
Zen / ô que je suis / ô je suis / zen
Je mange la vie et le vent / je danse sous les averses / et le matin, fatiguée / je remplis mes paumes de rosée / et je laisse le ciel se poser sur mes cils.
Zen / et je laisse le ciel se poser sur mes cils / zen / zen / ô je suis zen / et je laisse le ciel se poser sur mes cils / zen
Je suis

vendredi 25 juillet 2008

J'savais bien que j'étais geek !

C'est pas pour me vanter, mais j'ai une blogroll vivante !

Il s'agit d'une nouvelle et excellente fonctionnalité de blogger : bien mieux qu'une liste de liens plus ou moins classés par ordre alphabétique et/ou thématique, plus agréable à consulter qu'un agrégateur. Les blogs que j'ai choisi de mettre dans ma blogroll, bien sûr je les aime tous - j'ai mes petits chouchous, mais je ne le montre pas ! Ce qui est bien, c'est que dès que l'un d'entre eux publie un billet, il se retrouve en tête de la liste, qui, donc, bouge plusieurs fois dans la journée. Ceux qui étaient côte à côte se séparent pour rejoindre d'autres compagnons qui, à leur tour, les quitteront pour d'autres. Evidemment, ceux qui publient tous les 36 du mois (je ne vise personne) se retrouvent souvent tout au fond. C'est un peu cruel, mais on voit tout de suite ce qu'il y a de neuf. Pas mal, non ?

Pour une fois que je ne suis pas la dernière en 2.0...

Noms d'oiseaux

"Mais les moments les plus fascinants, à l'école, c'était quand le maître nous parlait des bestioles. Les araignées d'eau avaient inventé le sous-marin. Les fourmis élevaient un troupeau qui leur fournissait du lait et du sucre, et elles cultivaient des champignons. En Australie, il y avait un oiseau qui peignait son nid de toutes les couleurs avec une sorte d'huile fabriquée avec des pigments végétaux. Je ne l'oublierai jamais. Son nom est le ptilonorhynque. Le mâle orne son nid tout neuf avec une orchidée pour attirer la femelle."

"Quand les camions s'ébranlèrent, chargés de prisonniers, j'étais parmi les enfants qui coururent après eux, en lançant des cailloux. Je cherchais désespérément le visage du maître pour le traiter de traître et de criminel. Mais le convoi n'était plus qu'un nuage de poussière au loin, et moi, au milieu de l'Alameda, les poings serrés, je ne fus capable que de murmurer avec rage : "Crapaud ! Ptilonorhynque ! Iris !"

Manuel Rivas, "La langue des papillons" in La langue des papillons et autres nouvelles (Gallimard, 2003) - traduit du galicien par Serge Mestre et Ramon Chao. Titre original : A lingua das balboretas.

jeudi 24 juillet 2008

THE ptilonorhynque, enfin !

J'ai enfin trouvé des photos du ptilonorhynque (sur des sites du bout du monde) !


L'oiseau-satin ou Ptilonorhynque satiné (Ptilonorhynchus violaceus) et le Prince-Régent (Sericulus chrysocephalus) peignent les parois de leurs berceaux. Cette peinture est particulièrement intéressante chez l'oiseau-satin, car elle constitue un des rares exemples d'utilisation d'outils dans le monde des oiseaux. Le mâle saisit un fragment d'écorce dans son bec, et étale sur les parois, à l'aide de ce pinceau, une peinture faite de charbon de bois et de fruits mélangés à de la salive. La salive et le colorant coulent de l'écorce fibreuse que le mâle tient en travers dans son bec et qu'il promène de haut en bas sur les parois. Il préfère la couleur bleue. Comme le mâle est lui-même bleu, cette peinture joue probablement un rôle attractif pour la femelle.

Sans commentaire

Joli lapsus hier soir au 19-20 de France 3...
Deux étudiants en train d'acheter un réfrigérateur chez Emmaüs. L'un explique : "on n'a pas beaucoup de sang. Euh... on n'a pas beaucoup de sous, on est étudiants." Sans commentaire.

A part ça, j'ai encore rêvé que j'allais en Patagonie. Sauf que dans mon rêve, la Terre de Feu se trouve au niveau de Terre-Neuve. Sans commentaire aussi.

mercredi 23 juillet 2008

Décorateur méconnu

"Devant la construction figurait un tapis de mousse, parfaitement propre et débarrassé de tout débris indésirable, mais sur lequel avaient été amassés des centaines d'objets naturels de couleur variée, qui avaient été manifestement placés là à des fins décoratives. Il s'agissait surtout de fleurs, de fruits et de feuilles, mais il y avait aussi des ailes de papillon et des champignons. Les objets de même couleur avaient été rassemblés, par exemple des fruits rouges à côté des feuilles rouges. Les plus grands amas décoratifs étaient représentés par un tas de champignons noirs, en face de la porte, et par un autre tas de champignons orange, à quelques mètres de là. Tous les objets bleus étaient regroupés à l'intérieur de la hutte, les rouges, à l'extérieur, et les jaunes, les violets, les noirs et quelques verts, en d'autres points.

Cette hutte n'avait pas été construite par des enfants pour jouer, mais par un oiseau de la taille d'un geai, de morphologie par ailleurs peu remarquable, le ptilonorhynque, aussi appelé oiseau à berceaux, appartenant à une famille qui comprend dix-huit espèces et qui n'existe qu'en Nouvelle-Guinée et en Australie."

Jared Diamond, Le troisième chimpanzé : essai sur l'évolution et l'avenir de l'animal humain (Gallimard, 2000) - traduit de l'anglais par Marcel Blanc

Ile d'Aix





Les six plumes du sifilet

Continuons notre promenade à travers les pages du Petit Robert.

Tout d'abord, je dois dire que je suis très déçue : pour ce dictionnaire, le ptilonorhynque n'existe pas... Heureusement qu'il y a des écrivains comme Manuel Rivas pour parler de lui ! En revanche, Monsieur Petit Robert connaît bien le sifilet : oiseau de paradis à plumage noir, dont le mâle porte sur la tête six longues plumes minces - évidemment, s'il faut porter sur la tête des longues plumes minces, je ne peux pas rivaliser !

Un joli mot : coucoumelle - c'est du provençal et ça désigne une oronge blanche.

A l'époque où je passais des examens et des concours, j'avais trouvé un jeu pour ne pas m'ennuyer pendant les épreuves. Voici les règles, très simples comme on pourra le constater : juste avant, je repérais dans le dictionnaire un mot inconnu difficile à caser ; le jeu consistait à le placer de façon discrète, pertinente et élégante dans ma copie. Il m'est arrivé de construire totalement des dissertations autour de ce mot, qui devenait une sorte de fil directeur secret qui articulait tout, quel que soit le sujet. Je me demande si des examinateurs s'en sont rendus compte - en tout cas, ça m'a plutôt bien réussi et de toute façon ça m'a gardée d'ennuyer, comme on dit dans ma campagne.

Le mot que je choisirais aujourd'hui, c'est déhiscent (du latin dehiscere, "s'ouvrir") : se dit des organes clos (anthères, fruits) qui s'ouvrent d'eux-mêmes pour livrer passage à leur contenu. Le colchique, l'iris, le pavot, le tabac ont des fruits déhiscents. Ex. : C'est l'époque de la déhiscence, le fruit s'ouvre et les graines sautent (Duhamel). Son contraire, indéhiscent, signifie bien évidemment qui ne s'ouvre pas spontanément à l'époque de la maturité. Voilà de beaux adjectifs, qui se prêtent bien à la métaphore, n'est-ce pas ? En fait, je suis arrivée à ces deux mots en partant de la silique : fruit sec déhiscent, composé de deux carpelles dont la cavité d'abord unique est tardivement divisée en deux par une fausse cloison. La giroflée, par exemple, a des siliques.

Terminons par un verbe utile en cette époque cacophonique : tympaniser (du grec tumpanizein, "tambouriner"). Il signifie critiquer, ridiculiser publiquement, et aussi rebattre les oreilles de quelqu'un. Celui-là, je sens que je vais l'utiliser !

mardi 22 juillet 2008

Flou dedans

Impression très confuse qu'il se passe en moi quelque chose de totalement neuf que je ne peux définir, qui cherche un passage, me stimule et m'effraie.

Attendre et laisser venir

lundi 21 juillet 2008

L'î de l'huître et le byssus de la moule

Surfer dans les dictionnaires est un sport que je pratique volontiers. Un petit doute sur l'î de l'huître m'a amenée assez loin ; voici, donc, quelques trouvailles instructives et divertissantes :

huître - existe sous cette orthographe depuis 1538 (uistre, oistre, depuis 1270).
h
pour éviter la confusion avec vistre.
Evidemment, le s a été modernisé en î au XVIème siècle - voir le livre passionnant de Bernard Cerquiglini, L'accent du souvenir, qui narre l'histoire de l'accent circonflexe.

Mollusque bivalve (lamellibranches), à coquille feuilletée ou rugueuse, comestible ou recherché pour sa sécrétion minérale (nacre, perle)
Huîtres perlières : méléagrine, pintadine.
"Se fermer comme une huître".
Fam. : personne stupide.
Merci pour elle !


nacre (1560) - vient de l'arabe naqqara en passant par l'italien naccaro.
Joli mot vagabond !
1. Pinne marine

pinne (1688)
Pinne marine : grand mollusque à coquille triangulaire, appelé communément jambonneau, dont le byssus soyeux peut être tissé

byssus (1530) - du grec bussos "lin très fin, coton"
Faisceau de filaments soyeux, sécrétés par une glande de certains lamellibranches, leur permettant de se fixer.
Byssus de la moule.
Il y a encore une heure, je ne savais même pas que les petits poils des moule portaient un nom...
J'imagine bien la prochaine séance de grattage : "Encore eût-il fallu, ma mie, que vous otassiez les byssus de la moule!" Ne guettez pas là, je vous prie, la moindre allusion salace de fort mauvais goût - j'en vois qui rigolent. Quoique, en réfléchissant bien...
Et vous, Mesdames, à la prochaine séance d'épilation chez l'esthéticienne, au lieu de dire platement "Pourriez-vous me faire la bande-maillot ?", n'hésitez pas à clamer haut et fort - la vie est une tragi-comédie, ne l'oubliez pas, où les mots sont des armes - haut et fort, donc, et en alexandrin :

"arrachez, je vous prie, ces horribles byssus !"

A suivre...

Ile d'Aix

Sur la plage aux coquillages
j'ai croisé un homme de nacre
Il a ri
comme une huître laiteuse
J'ai souri
comme une huître polie
Puis j'ai fui

(Ce texte n'est pas stable. J'en ai écrit plusieurs versions, dont une plus longue pour Clara)

Simple et immense

"La seule possibilité d'approcher une vérité est peut-être de repartir toujours de ce qui est tout proche de nous, la moindre vie, le lieu le plus étroit, les choses les plus simples, mais en gardant présente à l'esprit l'étrange métamorphose qu'ils subissent sous l'effet de la distance, la manière dont ils s'ordonnent dans un ensemble plus considérable. Peut-être sera-t-il facile, alors, pour notre coeur, de comprendre ou en tout cas d'accepter la diversité, les faiblesses, l'imperfection de ce qui nous est le plus proche, de notre voisin, de notre vie, de nos journées.
Quoi qu'il en soit, c'est ainsi qu'a toujours procédé la poésie : elle parle de petits détails, mais à travers chaque détail, elle voit l'immensité dissimulée derrière, menaçante ou exaltante."

Philippe Jaccottet, Tout n'est pas dit (Le temps qu'il fait, 1994)

dimanche 20 juillet 2008

Fouras

Mer sableuse, terreuse - qu'est-ce qui remonte d'où ?
Vent

Nuages avaleurs de couleurs
Sur un bateau : "mystère"
Sur un autre : "mi-poisson mi-oiseau"
Etrange été

vendredi 18 juillet 2008

Chanème

Comment vieillir
quand tout est toujours si neuf
le jour la mer la joie
et puis tous ces visages

Chanème, gitane aux yeux turquoise
iris cerclés de noir
si maquillée enfant déjà si femme
visage ruisselant de paillettes
si belle si grave sans amie
- tu effarouches les mères -
tu touches ma main tu touches mon âme
m'enveloppes et me perces

"The waves broke on the shore"

Les petites bombes

Je me suis acheté des petites ballerines rouges toutes mignonnes, griffées "les petites bombes". J'ai comme l'impression d'être chaussée de Ferrari ! Ou plutôt, quand j'avance, on dirait deux nez tout ronds de clowns qui font les pitres.
Elles vont en faire, des kilomètres, les petites bombes...

Verdure

"Vert et blanc : couleurs heureuses entre toutes les couleurs, mais plus proches de la nature que les autres, couleurs champêtres, féminines, profondes, fraîches et pures, couleurs moins sourdes que réservées, couleurs qui semblent plutôt paisibles, rassurantes..."

Philippe Jaccottet, Carnet de verdure (Gallimard, 1990)

jeudi 17 juillet 2008

Coquelicots, arachnides et papillons


Je viens de découvrir une petite merveille de blog : celui d'Eric, intégralement consacré à des photos d'insectes, fleurs, arachnides et papillons. En voici deux, juste pour donner envie d'aller voir.

Désir de bleu

CONVALESCENCE

"Convalescence du bleu après l'averse...

Le ciel se recolore. Les arbres s'égouttent et le pavé boit. La ville aussi essaie des phrases. Rires mouillés et pluie de pieds nus. On dirait que le paysage est tout éclaboussé de croyance.

On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile ou dans une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener ses parfums, tenir quelques heures la beauté contre soi et se réconcilier.

On voudrait, on regarde, on sait qu'on ne peut en faire plus et qu'il suffit de rester là, debout dans la lumière, dépourvu de gestes et de mots, avec ce désir d'amour un peu bête dont le paysage n'a que faire, mais dont on croit savoir qu'il ne point pas pour rien, puisque l'amour précisément est notre tâche, notre devoir, quand bien même serait-il aussi frêle que ces gouttes d'eau d'après l'averse tombant dans l'herbe du jardin."

Jean-Michel Maulpoix

mercredi 16 juillet 2008

Et...

et je t'imagine
si loin
dans ta rêverie
lentement tendrement
je te donne corps
et toi
tendrement passionnément
tu me donnes corps
et ailes

Poum et les zonzons

Comme animal de compagnie, j'ai juste une petite araignée au plafond. Discrète, très élégante avec ses grandes pattes paresseuses. Pas bavarde, pas gênante, elle a son territoire, j'ai le mien. Je ne sais pas ce qu'elle fait de ses journées, elle ignore tout des miennes. Colocation harmonieuse, en quelque sorte.

Vacances vacantes obligent ou permettent, je vais boire l'apéro chez des gens que je n'ai pas vus depuis longtemps. Elle est bibliothécaire, fille d'enseignants, lui est prof. Je flaire une soirée un peu chiante - je suis de moins en moins sociable, je dois l'avouer - mais sans doute bien arrosée. S'ils veulent refaire le monde, je suis partante, pleine de bonne volonté, mais je ne sais pas s'ils pratiquent encore ce genre de sport.

Accueil par un chien très poilu et bruyant.
- Poum ! Tais-toi, Poum, c'est N. ! Poum ! Arrête ! N'aie pas peur, il fait du bruit mais il est gentil. Ah, ce Poum, il est impossible ! C'est N., c'est pas un zonzon ! Figure-toi qu'il a peur des zonzons...
- Hello ! ... Il a peut-être de bonnes raisons, zonzons. Ha Ha Ha ! Humour nul, je m'en veux déjà.

Poum, c'est le chien, si je comprends bien. Et les zonzons, c'est tout ce qui vole en faisant zzzzzz et qui énerve et parfois pique. Et Poum a peur de tout ce qui vole en faisant zzzzzz et qui énerve et qui parfois pique. Moi aussi, j'aime pas trop. On se comprend, hein, Poum ! Poum est très sociable. Il s'approche, le regard avenant. Câlin. Il fait très chaud, je veux bien un Ricard dans un grand verre avec plein d'eau et de glaçons. Alors, quoi de neuf depuis le temps ? On parle, on parle - tant de choses à se raconter après toutes ces années. Poum pose ses pattes avant sur ma jupe, l'air pâtelin, langue pendante et regard bizarre. Câlin. Câlin. Un peu envahissant, Poum, mais content. Tellement content, qu'il se met à danser un tango langoureux avec mon mollet. D'accord, j'ai de beaux mollets, Poum, mais si tu pouvais t'éloigner je respirerais mieux. Je commence à me sentir crispée.
- Il est toujours comme ça !
Et ça vous dérange pas ? Vous pourriez pas lui trouver une copine de son âge ?
- Complètement névrosé, ton chien ! Ha ha ha !
- C'est ça, quand ça t'arrange, c'est mon chien ! Allez, Poum, viens voir papa !
Il va me lâcher, oui ? Il lui faut une petite invasion de zonzons ?

Je souris poliment, mal à l'aise au milieu de ce trio trouble, bien décidée à prendre congé dès que possible pour rejoindre ma petite araignée. Je suis perplexe : qu'a-t-il bien pu se passer dans la vie de ce couple de professionnels de la culture et de l'éducation, pour qu'ils aient aujourd'hui un Poum névrosé affolé par les zonzons et les mollets féminins ?

mardi 15 juillet 2008

Tri sélectif

"Les perfidies qui me font trébucher, désespérer, qui me font chaque jour devenir à moitié fou, perdent leur effet sur moi quand je les éclaircis en moi complètement, tout de même que plus aucune chose ne m'affecte et même ne me tue à petit feu quand je l'éclaircis en moi. Eclaircir l'existence, non seulement la percer à jour mais quotidiennement l'éclairer jusqu'au suprême degré possible, c'est la seule possibilité d'en venir à bout. Autrefois je n'ai pas eu cette possibilité d'intervenir dans le jeu mortel, quotidien, de l'existence, pour le faire je n'en avais ni l'intelligence ni la force, aujourd'hui le mécanisme se met en marche de lui-même. C'est un processus de rangement qui a lieu, jour après jour, dans ma tête le ménage se fait, chaque jour les choses se mettent à leur place. Ce qui est inutilisable est rejeté et tout simplement éjecté de ma tête."

Thomas Bernhard, La cave - traduit par Albert Kohn - in Récits, 1971-1982 (Gallimard "Quarto", 2007)

lundi 14 juillet 2008

Dédicaces

Je ne suis pas une grande amatrice de rencontres avec des auteurs suivies de séances de signatures. Pourtant, fouillant depuis quelques jours dans ma bibliothèque à la recherche de je ne sais quoi, j'ai retrouvé plusieurs livres portant des dédicaces (certaines sincères, d'autres de circonstance), comme autant de petits cailloux pour me réorienter dans les années passées. En voici quelques-unes :
Daniel De Bruycker, Silex : la tombe du chasseur (Actes Sud, 1999)
"Pour N., ce silex venu de la tombe du chasseur en gage d'une autre rencontre encore, tout au bout de la promenade. Amicalement" (pas de date)
Lydie Salvayre, Le vif du vivant (Ed. Cercle d'Art, 2001)
"Pour N., dans ce désir que le vif du vivant vous contamine. Très chaleureusement, Lydie Salvayre" (pas de date)
François Jullien, La propension des choses : pour une histoire de l'efficacité en Chine
" A N., en très cordial hommage et remerciement pour notre soirée à L. Le 7/3/2003"
Jean-Paul Malaval, Le deuil de l'image (Ed. Philippe Olivier, 1990)
"Pour N., le deuil de l'image, roman sur le thème de la rupture amoureuse traitée avec trois écritures. En souvenir de notre extrême amitié. 10/XI/90"
Guy Goffette, Un été autour du cou (Gallimard, 2001)
"Pour N., cet été autour du cou, comme une chanson triste et tendre. En amical hommage, G. Goffette, le 2 nov. 2001"
Gao Xingjian, Le livre d'un homme seul (L'Aube, 2000) - Traduit du chinois par Noël et Liliane Dutrait
"A chère Madame N., avec toute mon amitié, le 1er avril 2000"

Un corps en automne

"Ah, le temps s'accélère ! Je sens, de plus en plus, le souffle de sa vitesse. Dans le ciel, les nuages précipitent leur glissement, nuits et jours se succèdent comme des éclairs, les mois durent à peine un jour, les saisons se bousculent, dès le solstice d'été la lumière déjà se glace du froid de l'hiver, mon corps se courbe, s'endolorit, ma peau se flétrit, dans le miroir mon visage se dessèche, un crâne apparaît, tombe, se brise, devient poussière que le vent emporte, et j'aspire à une sérénité que je ne trouve jamais.
Autour de moi, rien ne paraît changé et pourtant tout est changé. Une barrière invisible a été franchie, au-delà de laquelle le mot projet perd son sens. Vieillir, c'est franchir cette barrière, c'est se mettre à marcher sans espoir de but, hormis ce néant dont on ne sait ni quand ni où il nous surprendra. J'ai franchi cette barrière. Même si mon corps est encore droit, mon pas vif, ma vue passablement bonne, je sais que ce corps, ce pas, cette vue ne sont plus ce qu'ils étaient. Je suis déjà au-delà et même si, parfois, il m'arrive de mimer une attente, cette attente n'est plus qu'une caricature. Sous le ciel vide, les autres, imperceptiblement, me dépassent, me laissent en arrière, traînard d'un exode infini, voué à être la proie de mâchoires symboliques. La nuit approche. Le soleil décline. Des bruits de fête se défont ici et là. Il y a, au fond du soir, dans le creux laissé par le vent apaisé, une odeur de feuille brûlée, un calme automnal. Je m'arrête. J'écoute. Je regarde à mes pieds l'allongement des ombres. J'entends des chiens, à l'infini, comme perdus sur l'horizon, et je connais soudain le bonheur d'une seconde sans ambition où je me fonds, tout entier, dans l'immensité de l'indifférence."

René Pons, L'homme séparé (Actes Sud, 1995)

dimanche 13 juillet 2008

Saisons

Tant pis pour juillet, regrets soldés
Tant pis pour l'été, grand parapluie rouge
Flottement d'automne
Déjà
Si tu donnes pas tu vas garder où

Porcelaines

"Tout à l'heure, j'irai aux toilettes, généralement au sous-sol, dans cet antre qui sent l'ammoniaque et le désinfectant. Debout devant l'urinoir, je déboutonnerai lentement ma braguette, je sortirai ma verge veuve, et je lâcherai l'urine, longtemps retenue, sur la porcelaine blanche où elle coulera, en ruisselets jaunes qui se rassembleront, couverts de mousse, autour de la bonde inoxydable souvent bouchée par des mégots." (p. 120-121)

"De nouveau je m'enveloppe dans le gris. Les rares bruits ont quelque chose de cotonneux. J'ai l'impression d'être une porcelaine fragile porteuse de précieux dessins chinois. Des dragons naïfs gardent l'entrée d'une grotte où repose peut-être le secret de la parole." (p. 143)

René Pons, L'homme séparé (Actes Sud, 1995)

L'homme séparé

En fouillant dans ma bibliothèque, j'ai retrouvé un petit livre de René Pons, L'homme séparé, avec une belle dédicace de l'auteur : "A N., ce livre où l'éloignement cache sans doute l'amour des hommes dont la noirceur, pourtant, n'est pas éludée. Amicalement, René Pons, le 8-4-01"

Ce livre, je l'avais oublié, pas trop aimé à l'époque : propos d'un vieil homme qui ne s'intéresse qu'à lui-même et à ses états d'âme, à des petits riens dont je me souciais peu et qui ne me parlaient pas. Jugement impitoyable. Sans doute pas le bon moment... Et puis, magie de la redécouverte, voilà que ce livre si personnel, si mélancolique, si masculin, si intimement poétique, semble s'adresser directement à moi et rencontre totalement mon vague à l'âme en ce juillet aux regrets soldés.

Si tu donnes pas, tu vas garder où ? s'interroge le photographe malien Malick Sidibé. Je livrerai donc plusieurs extraits de L'homme séparé.

samedi 12 juillet 2008

C'est quoi ce blog ?

Pour moi, c'est un refuge, un cocon douillet, enveloppant et accueillant. Le ptilonorhynque, oiseau que j'imagine discret et timide, un peu gêné par son nom si tarabiscoté, n'attend guère de visiteurs. Il peut pourtant en arriver, en équilibre sur le fil du hasard, à la recherche par exemple de documents sur les "chaussures qui couinent" (ça s'est déjà vu...) ou sur la meilleure manière d'occuper ses vacances à Chartrier-Ferrière quand il pleut ou lorsque la chaleur pourrait faire fondre les pierres. Monsieur Google est parfois si facétieux !

Mes précédentes aventures de blogueuse m'ont rendue un peu circonspecte : sur le net, des médiocres qui pensent ne pas pouvoir être repérés - en quoi ils se trompent - se disent qu'ils ont toute lattitude pour se lâcher et laisser libre cours à leur mauvaiseté. "La langue des papillons" tend donc vers l'anonymat, mais accueille volontiers les visites amicales.

J'ai pris conscience récemment d'un vrai plaisir à écrire. On trouvera donc ici quelques petits papiers personnels qui ne demandent qu'à vivre ; je ne sais pas s'ils seront nombreux, courts ou longs, ni ce qu'ils deviendront. J'ai juste envie d'expérimenter ça, pour voir, comme d'autres l'ont fait avant moi : lui, par exemple, a du talent et du style, il va fouiller profond pour ramener des mots et pétrir leur chair.

Je recopie aussi plein d'extraits de livres sur des sujets qui me semblent importants : musique, porcelaine, marche et chemins, portraits, langage, art,... Le blog me sert un peu d'aide-mémoire, j'y dépose ce que j'aime.

On ne trouvera rien ici sur ma vie professionnelle, quasiment rien non plus sur ma vie privée - ben, qu'est-ce qu'il reste, alors ? Si c'est pour parler de rien, pourquoi ne pas se taire ? Justement parce que le ptilonorhynque est au quotidien tellement silencieux, qu'il se dit de temps en temps qu'il y a bien droit, lui aussi, aux mots des autres. Pendant ses quarante premières années de vie - et des poussières, comme on dit - il n'a guère pu déployer ses ailes, sinon en rêve ; combien de temps lui reste-t-il pour prendre son envol harmonieusement ?

vendredi 11 juillet 2008

Patronymes

"Tinguely"... vous n'y croyez pas, vous, aux noms phonétiquement prédestinés, ou du moins à cette adéquation du nom et du style, du nom et de l'oeuvre, dont l'évidence s'impose après coup ?
Nous inclinons, pour notre part, à penser que la plupart des créateurs marquants et personnages de légende ne pouvaient, de toute éternité, se nommer autrement qu'ils se nomment. Imagine-t-on Ponge et son verre d'eau mieux désignés que par cette spongieuse bi-syllabe en e muet ? Fangio laissant dans le ciel de la course un autre rugissement mécanique que celui de "Fangio" ? Débaptiseriez-vous Vercingétorix et Savonarole ? (...) Ecoutez plutôt la musique des patronymes, constatez la clairvoyance de l'Etat civil. Kandinsky : tout le dandysme cérébral de la ligne et du point ; Klee : toute l'économie raréfiée du signe ; Matisse (surtout dans le i - deux s - e) : toute l'alchimie du chrome et du cadmium, l'ordonnance d'une palette stricte, la pureté scrupuleuse du geste froid qui sature la couleur ; Kant, même précédé d'Emmanuel : toute l'inaccessibilité monosyllabique du noyau dur de la chose en soi..."

Michel Conil Lacoste, Tinguely : l'énergétique de l'insolence (La Différence, "Matière d'images", 2007)


En novembre 1958, au moment où je naissais, la galerie parisienne Iris Clert présentait l'exposition "Vitesse pure et stabilité monochrome, Jean Tinguely, Yves Klein". Alors que mes cinquante ans approchent, cela me fait bien plaisir de savoir cela. L'oeuvre de Tinguely n'a pas pris une ride, moi quelques-unes ; il va falloir que je m'y fasse...

jeudi 10 juillet 2008

Carrefours

"Elisha suggéra qu'au lieu de s'intéresser aux individus, il se concentre sur un aspect de la musique rap en général et qu'il relève chaque incidence de cet aspect, afin de permettre aux gens de naviguer d'un renvoi à l'autre. Cela ne lui fut pas d'un plus grand secours. Cinq jours plus tôt, Carl avait choisi de s'occuper du thème du carrefour. Chaque occurrence du mot carrefour, les images de carrefours sur les pochettes d'albums, et les raps ayant pour thème l'idée d'un carrefour dans le cheminement de la vie. Il avait déjà écrit quinze mille mots et était loin d'avoir terminé."

Zadie Smith, De la beauté

mercredi 9 juillet 2008

Rose bordé de jaune

"En parfaite harmonie, et sans une parole, père et fils chorégraphiaient les préparatifs du petit déjeuner : ils se passaient la boîte de céréales, échangeaient les couverts, remplissaient leurs bols, se partageaient le lait d'un pot en porcelaine rose bordée de jaune."

Zadie Smith, De la beauté (Gallimard, 2008) - traduit de l'anglais par Philippe Aronson

mardi 8 juillet 2008

Singularité

"The fundamental quality of one's voice, the phonetic patterns of speech, the speed and relative smoothness of articulations, the length and build of the sentences, the character and range of the words used, the readiness with which words respond to the requirements of the social environment, in particular the suitability of one's language to the language habits of the persons addressed - all these are so many complex indicators of the personality."

E. Sapir, Culture, Language and Personality

lundi 7 juillet 2008

Océaniques

"Quand je la vois, je suis souvent submergé. Submergé par l'admiration, par le désir, par le plaisir, par la tendresse, parfois par une étrange désespérance. A ces moments-là je sais que je ne la vois plus comme elle est. Je suis dans le vague, je ne la vis plus comme une personne, mais comme une légende parmi les saisons, les odeurs, les parfums, dans l'intense précarité de la jeunesse, du plaisir, du désir qui cherchent plus grand qu'eux."

Henry Bauchau, Le boulevard périphérique (Actes Sud, 2008)

dimanche 6 juillet 2008

J'aimerais dire

Les vagues ont viré au noir et se souviennent à peine de leurs miroitements d'argent.
Le temps balance, éclaté, sans opinion.
Les frondaisons bruissent, les feuilles froufroutent de tous leurs dessous froissés.
Passe un quelconque qui caquète et cancane avec une quelqu'une.
Je griffonne et gribouille et grimace exprès.
La nuit s'annonce et mord à pleins nuages les jolies joues du jour.
Je me délie de la furie des vilains mots, je les chasse, les balaie, les oublie.
J'aimerais dire je t'aime.

Couple et figurines

Les allusions à la porcelaine sont extrêmement fréquentes dans la littérature, souvent sous forme de clichés (teint de porcelaine), parfois de manière plus originale. Dans l'excellent roman de Henning Mankell, Profondeurs, des figurines en porcelaine ponctuent les étapes de la descente aux enfers du personnage principal, Lars Tobiasson-Svartman, jusqu'à la folie de sa femme et son propre suicide.

"Les premières années, il l'avait suivie, comme une ombre, lorsqu'elle se réveillait la nuit et sortait de la chambre à tâtons. Mais elle ne faisait qu'aller aux toilettes, ou se servir un verre d'eau. D'autres fois, elle pouvait rester plantée devant les étagères, face à ses figurines en porcelaine, perdue dans ses pensées, si loin qu'il croyait qu'elle ne reviendrait jamais." (p. 113)

"Elle serra sa main.
- Je veux t'avoir près de moi.
Je ne veux pas être ici, pensa-t-il, en se faisant violence pour ne pas repousser sa main. Je ne veux pas être ici, j'ai peur de cet enfant, des pièces de cet appartement, des figurines en porcelaine avec leurs yeux morts." (p. 220)

"Pourtant, même cela, ce n'est pas vrai, pensa-t-il. Je ne peux parler que pour moi. Elle a sûrement vécu les choses différemment. Si elle est venue jusqu'ici, ce n'est pas seulement pour percer à jour un mensonge, mais aussi pour comprendre comment elle a pu me donner autant d'amour.
Elle a dispensé sa lumière à un rocher glacé. Qui ne s'est jamais réchauffé. Et moi j'ai essayé de l'apprivoiser pendant toutes ces années que nous avons passées ensemble.
Je n'y suis pas parvenu. Elle est restée sauvage, les figurines en porcelaine m'ont induit en erreur. Elle avait plus de facettes que je n'aurais soupçonné. Sous son apparence calme, presque nonchalante, quelque chose d'autre se cachait." (p. 323)

Cadaquès, Lumière

samedi 5 juillet 2008

Accents des îles

"Elle était toujours dans l'ombre, mais sa voix pourtant semblait plus proche. Elle possédait ce timbre si particulier qu'on attrape à force de crier en mer d'un bateau à l'autre par grand vent. Son dialecte était moins marqué que celui d'autres habitants de la région. A bord du Blenda, certains matelots venaient de cette partie de l'archipel, un de l'île de Gräsmarö, l'autre de l'îlot d'Häradskär, ainsi qu'un mécanicien de Kättilö qui parlait avec les mêmes inflexions que cette voix tapie dans l'ombre."

Henning Mankell, Profondeurs (Seuil, 2008) - traduit du suédois par Rémi Cassaigne

vendredi 4 juillet 2008

Cadaquès, été, ciel d'orage

Un homme et une femme s'installent en terrasse. Ils portent tous deux des vêtements discordants et désassortis, l'un avec des rayures horizontales, l'autre avec une savante composition d'obliques et de verticales.
- Je ne te comprends pas : nous arrivons dans un des plus beaux villages du monde et la première chose que tu fais c'est chercher une pharmacie.
- J'ai peur d'avoir une rage de dents, comme la dernière fois.
- Ah non, tu ne vas pas recommencer ! Dos cañas, por favor. Tu n'as toujours pas mis le pied chez le dentiste, I suppose ?
- ...
- A chaque fois qu'on part en vacances tu as le cric ou le crac. Je vais finir par croire que tu le fais exprès pour gâcher les meilleurs moments ! Repérer la pharmacie avant LE petit bar à tapas pour tout à l'heure, c'est vraiment pousser loin l'hypocondrie !
- JE NE SUIS PAS HYPOCONDRIAQUE ! Tu sais bien que je ne suis pas fragile, la preuve, je ne suis jamais malade. D'ailleurs, le médecin me l'a bien dit la semaine dernière...
- Effectivement, tu peux te réjouir de ta belle santé ! Le seul problème, c'est que tu as toujours quelque chose qui ne va pas.
- Tu exagères, je suis juste un peu fragile des reins. Dès que je prends une mauvaise position, je me coince. Et le rhume des foins, tu ne vas quand même pas dire que c'est de ma faute ! Il m'a donné quelque chose pour dormir et il a dit que si ça n'allait pas, je pourrais revenir le voir.
- Non, j'y crois pas !!!
- Je ne sais pas si je vais supporter cette chaleur. Tu comprends, je ne dors que cinq heures par nuit. Cinq heures, tu te rends compte ? C'est trop peu, à mon âge !
- Eh bien, heureusement que nous ne dormons plus ensemble ! Je me demande s'il y a des moustiques ici.
- Des moustiques ? Tu crois qu'il y a des moustiques ?

Thé au Tibet

"Nous buvons du thé, encore du thé et toujours du thé. J'apprends que la meilleure eau pour le thé vient d'un glacier ; elle passe à travers le feuillage et dans le sol avant de s'amasser dans un réservoir. Au bout de trois ans, l'eau est versée dans un récipient de porcelaine avec quelques feuilles de thé. Quand les feuilles s'ouvrent, le thé est prêt. L'arôme d'un seul bol peut parfumer une maison entière."

Peter Sis, Le Tibet : les secrets d'une boîte rouge (Grasset Jeunesse, 1998) - traduit de l'anglais par Alice Marchand

jeudi 3 juillet 2008

Marcher en zigzag

A l'occasion d'une escapade trop rapide en Catalogne, j'ai découvert le livre de Christophe Lamoure, Petite philosophie du marcheur (Milan, 2007) et j'ai particulièrement été touchée par le passage ci-dessous :

"Le trajet le plus court - outre qu'il répond à un souci qui n'est pas celui du marcheur : arriver le plus tôt possible - est en montagne le trajet de l'épuisement et de l'échec. La ligne droite doit laisser place aux lacets : marcher en zigzag, c'est-à-dire en longeant la pente de droite à gauche et inversement, en ne s'élevant qu'un petit peu à chaque fois, permet de gagner les sommets. De légers détours par rapport à la voie rectiligne, loin d'être inutiles, rapprochent le montagnard de la cime, en rallongeant la distance qui l'en sépare. Savoir s'éloigner pour pouvoir se rapprocher, telle est la belle maxime qui s'écrit sous les pas du marcheur. Il ne griffe pas la pente d'un trait rageur qui part du pied du mont et va jusqu'à son sommet. Il corsète le mont d'une série de lacets qui l'étreignent délicatement et amoureusement."