Blog vagabond, culturel et champêtre

lundi 29 décembre 2008

Saint-Loup en oiseau

"Même immobile, la couleur qui était la sienne plus que de tous les Guermantes, d'être seulement l'ensoleillement d'une journée d'or devenu solide, lui donnait comme un plumage si étrange, faisait de lui une espèce si rare, si précieuse qu'on aurait voulu le posséder pour une collection ornithologique ; mais quand, de plus, cette lumière changée en oiseau se mettait en mouvement, en action, quand par exemple je voyais Robert de Saint-Loup entrer dans une soirée où j'étais, il avait des redressements de tête si soyeusement et fièrement huppée sous l'aigrette d'or de ses cheveux un peu déplumés, des mouvements de cou tellement plus souples, plus fiers et plus coquets que n'en ont les humains, que devant la curiosité et l'admiration moitié mondaine, moitié zoologique qu'il vous inspirait, on se demandait si c'était dans le faubourg Saint-Germain qu'on se trouvait ou au Jardin des Plantes et si on regardait un grand seigneur traverser un salon ou se promener dans sa cage un oiseau. Tout ce retour, d'ailleurs, à l'élégance volatile des Guermantes au bec pointu, aux yeux acérés était maintenant utilisé par son vice nouveau qui s'en servait pour se donner contenance."

Marcel Proust, Le temps retrouvé - Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1989- (p. 282)

vendredi 26 décembre 2008

Plan de table

Toute la famille est là, réunie pour le repas annuel. Père, grand-père et (du moins l'espère-t-il) bientôt arrière-grand-père, l'aïeul s'est assis le premier, dos à la face nord de la grande salle à manger. Il a faim et s'impatiente. Il est le seul à savoir où est sa place à table, quoi qu'il arrive. Installez-vous, dit-il, ici il n'y a pas de plan de table, chacun se met où il veut. Pas de plan de table, mais des évidences. La fille aînée du côté droit du père. La cadette du côté gauche. L'ex-compagnon de la fille aînée juste à la droite du père. Le mari de la fille cadette juste à la gauche du père. La fille aînée avait gagné une place tout à côté du père en se séparant de son compagnon, elle la reperd. Elle régresse même de deux places, puisque son fils maintenant adulte et cadre de la fonction publique s'assoit tout naturellement à côté de son père, ex-compagnon de la fille aînée. Le fils de la fille cadette, lui aussi fort naturellement, prend place à côté de son père. Depuis ses 21 ans, il n'est plus qu'à une place du patriarche. Les hommes sont donc installés et forment un petit groupe. Comme autrefois à la messe. Comme ça, ils pourront parler, dit l'aïeule. La fille aînée ne voulait pas se retrouver du côté féminin de la table, d'autant qu'elle perd une place supplémentaire en raison de la présence de la petite amie de son fils. Pas question de les séparer, bien sûr. La fille cadette régresse également, pour la même raison. Elle ne va tout de même pas s'intercaler entre son fils et la petite amie de celui-ci. Et puis les deux cousins, qui se font face, pourront parler. Le côté féminin de la table, le plus proche de la cuisine, se compose donc de l'aïeule, de la fille aînée, de la fille cadette et de la petite-fille, trop jeune pour avoir déjà un petit ami. Les petites amies des petits-fils forment comme une ligne de frontière entre la face masculine et la face féminine du repas. Pas de plan de table, non, bien sûr, on est en famille et puis ici on n'est pas chez les bourges. Pas de plan de table, mais une fois encore, tout naturellement, une géographie familiale se dessine aux couleurs de la tradition.

mardi 23 décembre 2008

Miroitements

Voilà un petit livre peu banal, reçu dans le cadre de l’opération Masse Critique organisée par Babelio. Imaginez un peu : de la poésie trilingue letton – français – allemand ! Pour moi qui aime la poésie et qui m’intéresse aux langues, c’est vraiment cadeau !

Il porte donc un triple titre : Atainojumi / Miroitements / Spiegelungen, par lequel on pénètre dans une forêt d’images et de sons mystérieux. Trois facettes d’un univers où le ž du letton, le œ du français et le β de l’allemand se répondent avec élégance.



L’auteure, Dagnija Dreika, poète et traductrice littéraire, est née à Riga en 1951. Sa poésie, très visuelle, s’agence en tableaux parfois ironiques et trouve ses sources dans la nature, mais aussi dans les légendes et dans son panthéon personnel. Elle affectionne les mots rares, ce qui fait de la traduction une gageure. On la dit héritière du romantisme et du néo-classisme. Elle prépare actuellement une anthologie bilingue français-letton de poètes belges francophones contemporains.

Il est difficile d’apprécier le charme sonore de ses poèmes si l’on ne connaît pas le letton, mais Rose-Marie François, elle-même poète traduite en letton par Dagnija Dreika, va chercher avec talent dans les tréfonds et les richesses des deux langues pour « dire presque la même chose » aux francophones amateurs de poésie.

Les Editions En Forêt / Verlag im Wald, sont implantées à Rimbach en Allemagne et publient uniquement de la poésie, généralement multilingue. On croise dans leur catalogue Israël Eliraz, Abdellatif Laâbi, Werner Lambersy,...


Puisque c'est Noël, voici

SARMAS FRESKA

Ziemas vakari gari uz laika bezdibeni iet.
Snieg. Ir Ziemsvētki. Nebeidzami snieg.
Visu to mūžību, kuru es tevi jau gaidu.
Ielas, jumti – cietsirdīgi atgādina viss
Tā gada fresku, kas jau ir pagājis.
Rīga sērsnas kleitā, un aizplūst laiks.

Krēska balto karogu izkārusi.
Esmu te, gaidu tevi joprojām
vēl, bet vakars jau projām klusi.

FRESQUE DE GIVRE

Longues soirées d’hiver dans l’abîme du temps.
Il neige, c’est Noël. Il neige infiniment.
Toute une éternité que je t’attends.
Les rues, les toits, cruel semblant
d’une fresque d’antan,
Riga, robe de givre, passe le temps.

Le crépuscule hisse un drapeau blanc.
Je suis là, je t’attends encore, encore.
Mais le soir s’évapore.

RAUHREIFFRESKO

Lange Winterabende im Abgrund der Zeit.
Es schneit zur Weihnacht, es schneit ohne Ende.
Ich warte schon seit einer Ewigkeit.
Straβen und Dächer täuschen grausam
Ein uraltes Fresko vor,
Riga im Rauhreif, die Zeit vergeht.

Die Dämmerung hiβt eine weiβe Fahne.
Da bin ich und warte noch immer, noch immer.
Doch still zieht der Abend dahin.



Dagnija Dreika, Atainojumi / Miroitements / Spiegelungen (Editions En Forêt / Verlag Im Wald, 2008). Poèmes trilingues letton / français / allemand.
Traduction en français : Rose-Marie François.
Űbersetzung ins Deutsche : Rüdiger Fischer
66 pages, 6€

Adresse de l'éditeur (ajouter 3 € pour frais de port) :
Verlag Im Vald / Editions En Forêt
Doenning 6
D 93485 RIMBACH
CCP 628 519 D Paris

jeudi 11 décembre 2008

Se livrer


Voilà déjà quelques mois que ma bibliothèque personnelle, livre après livre, rejoint virtuellement Babelio. Et, très curieusement, j'en suis troublée, quelque peu perturbée.

MES livres, ce sont mes compagnons de toujours, ils ont accompagné chaque étape de ma vie, ils parlent de moi, ils parlent pour moi et me dévoilent, bien plus que mon profil Facebook ou mes blogs. Ils en disent long sur mes amours, mes amis, mes apprentissages, les moments difficiles, les égarements et chemins de traverse, toutes les strates de toutes ces années. Mon premier Pléiade (le tome 1 de A la recherche du temps perdu) offert il y a si longtemps par un homme que j'aimais. Mon premier livre en version originale (The Unicorn d'Iris Murdoch), qui m'a demandé des centaines d'heures de travail avant de me donner du plaisir. Soleil noir de Julia Kristeva et Mars de Fritz Zorn, qui m'ont aidée à comprendre et vivre un passage dépressif. Les catalogues d'expositions qui me renvoient à des amitiés parfois perdues (quand ? avec qui ? à quelle occasion ? en quelle saison ?). Les livres de grammaire et de linguistique. Les livres sur la grammaire et la linguistique. Les dictionnaires. Les livres sur le livre et les bibliothèques. Les albums de La Pléiade (ah, Prévert !). Les livres sur les systèmes d'écriture. Les philosophiques et les poétiques. Les curiosités (Le déshonneur des poètes de Benjamin Péret transcrit en "alphabet de la guerilla" par Jacques Villeglé, une vieille édition du Brave soldat Cveik en version originale, trouvée chez un bouquiniste en République tchèque). Ceux que je n'ai jamais aimés mais qui sont restés. Ceux que je n'ai jamais lus et que je suis surprise de trouver là. Les pas-montrables - le premier qui se moque de mes livres d'astrologie, je lui casse la gueule ! Les doublons et même un triplon. Il y manque ceux que je n'ai plus, prêtés et jamais revus, compensés par ceux que j'ai empruntés et jamais rendus : sont-ils à moi, ceux-là ? Les mets-je sur Babelio ? Après tout, c'est un peu une forme de book-crossing entre amis, non ?

Rendre sa bibliothèque personnelle publique, est-ce bien raisonnable ? Si je les montre tous, c'est comme si je disais tout, que va-t-il me rester d'irréductiblement secret ? Alors, j'y vais à petits pas, j'en mets dix par-ci, dix par-là pour me familiariser avec ce nouveau danger. Et je regarde les bibliothèques des autres, avec la légère impression de regarder par le trou de la serrure...

mercredi 10 décembre 2008

C'est QUI le chef, ici ? C'est LUI !

The king of bling-bling, c'est LUI. Le clip qui déchire, c'est ici.

lundi 8 décembre 2008

La verrine et le jambon blanc

Si je vous dis : qu'est-ce que c'est ça ? Vous allez répondre sans hésiter : c'est du pain, du bon vrai pain au levain, posé sur une table en bois, et derrière il y a des livres - donnez-moi du pain et des livres, cela suffit à mon bonheur !




Et ça, qu'est-ce que c'est ? Facile, c'est de la salade, de la bonne salade verte dans un saladier.



Et ça ? Ben, c'est du jambon blanc - les enfants disent du jambon rose et ils ont raison - du jambon blanc bête, le niveau zéro de la gastronomie, pour les jours où c'est vraiment pas fête. On peut plus ou moins utiliser ça pour se nourrir, ça coûte pas très cher et c'est tout de suite prêt, mais vraiment c'est pas bon, ou plus exactement cela n'a guère de goût. Bon, voici une photo de jambon :





Et ça, qu'est-ce que c'est ? Ce sont des VERRINES, et là je dis stop ! Arrêtons l'invasion sournoise des verrines ! On en trouve désormais partout : dans les buffets pouet-pouet, dans les dîners entre amis, dans les restaus, la verrine a réussi à s'imposer, on ne peut plus y échapper. Mais ça ressemble à rien, ces verrines ! Qu'y a-t-il dedans ? Ben, on sait pas ! Et comme je suis pimpigne, j'aime savoir ce que je mange. Sans compter que dans les buffets, c'est malcommode comme tout à manger : vous tenez votre verrine dans la main gauche (par exemple), la petite cuiller dans l'autre main, vous coincez votre verre entre l'annulaire et l'auriculaire et là, pof ! quelqu'un arrive pour vous serrer la main et comme vous n'avez pas pensé à vous faire greffer une prothèse, vous êtes super embarrassé ! Alors les verrines, j'y touche pas. Et si vous allez dans un restau qui propose des verrines sur sa carte, c'est un signe qui ne trompe pas : vous êtes sûr que ça va être cher, chichiteux et pas très bon.



Ce qui est vert, c'est quoi ? du kiwi ? du concombre ? de l'avocat ? Et le truc blanc qui a l'air tout mou, c'est quoi, hein ? du fromage blanc ? une mousse de je ne sais quoi ? Bbbbbeurk !

Bon appétit tout de même, c'est l'heure de la soupe !

vendredi 5 décembre 2008

Langue piégée

"Die Sprache hat für Alle die gleichen Fallen bereit ; das ungeheure Netz gut gangbarer Irrwege. Und so sehen wir also Einen nach dem Andern die gleichen Wege gehn, und wissen schon, wo er jetzt abbiegen wird, wo er geradeaus fortgehen wird, ohne die Abzweigung zu bemerken, etc. etc. Ich sollte also an allen Stellen, wo falsche Wege abzweigen, Tafeln aufstellen, die über die gefährlichen Punkte hinweghelfen."

(La langue a préparé les mêmes pièges à tous ; un immense réseau de faux chemins, où il est aisé de s'engager. Ainsi voyons-nous les hommes s'engager l'un après l'autre sur les mêmes chemins, et nous savons déjà où ils vont dévier, continuant à marcher droit devant eux sans avoir remarqué la bifurcation, etc., etc. A tous les endroits d'où partent de faux chemins je devrais donc placer des pancartes, qui les aideraient à franchir les points dangereux.)


Ludwig Wittgenstein, Vermischte Bemerkungen / Remarques mêlées (T.E.R., 1990)
Traduit de l'allemand par Gérard Granel

jeudi 4 décembre 2008

Adieu

"ICH KANN DICH NOCH SEHEN : ein Echo,
ertastbar mit Fühl-
wörtern, am Abschieds-
grat.

Dein Gesicht scheut leise,
wenn es auf einmal
lampenhaft hell wird
in mir, an der Stelle,
wo man am schmerzlichsten Nie sagt.
"



"JE PEUX TE VOIR ENCORE : un écho,
palpable par mots-
tactiles sur l'arête
de l'adieu.

Ton visage s'effarouche sans bruit
lorsque d'un coup
il devient clair comme lampe en moi
à l'endroit
où l'on dit au plus douloureusement
Jamais.
"

Paul Celan, Lichtzwang / Contrainte de lumière, in Poèmes traduits et présentés par John E. Jackson (J. Corti, 2002)

mercredi 3 décembre 2008

Gamarth

"Le vol des ans est-ce nuages
La lumière des jours est-ce nos ans ?
Le cours du vent est-ce notre âge ?
hasardeux moment incertain parage
ce vouloir fugace nous agitant
et l'espoir tenace pourtant...

une borne sur un rivage
le rostre d'une seiche, blanc, sur la plage.

Antiquité, vestiges, vain marbre
ce bois délavé qui fut arbre
ce sable qui ne garde mémoire des pas

Et le vent obstinée voix qui parle
depuis l'invention des temps
aux ombres du ciel diaprant
La mer immense verte et jaune pâle."

Jean Cortot, Tableaux dédiés (Maeght Editeur, 1993)

mardi 2 décembre 2008

Ma petite folie



Je le voulais, je l'ai.

Je le sors tendrement de son coffret créé par l'artiste plasticien japonais Aki Kuroda, je le feuillette, joue avec les trois signets aux couleurs vives, laisse glisser mes doigts sur les variations du papier, découvre les cahiers enchâssés qui semblent se cacher, se lover, se protéger ; je me dis que les trois chorégraphies sur le DVD (Annonciation créé en 2003 sur une musique de Stéphane Roy et Antonio Vivaldi ; Les raboteurs, court métrage inspiré par le tableau de Caillebotte ; Trait d'union sur une musique de Bach) , je le regarderai ce soir ; je découvre, surprise, que Angelin Preljocaj, le grand chorégraphe, est aussi peintre ; je m'étonne des partitions qui écrivent la danse. Je vais prendre tout mon temps pour lire le texte de Françoise Cruz à partir ses multiples entrées.

Cette petite merveille, ma petite folie de fin d'année, c'est un livre accompagné d'un DVD, presque un livre-objet, publié par les éditions Naïve. Son titre, à lui seul, agit immédiatement comme un aimant : Angelin Preljocaj, topologie de l'invisible.