Blog vagabond, culturel et champêtre

dimanche 4 janvier 2009

Tout est passé si vite (1)

Je me souviens de Cécile, qui m'attendait sous la pluie et qui m'a souri.
Je me souviens que ses longs cheveux étaient trempés.
Je me souviens qu'Edith et moi nous sommes embrassées et qu'ensuite nous ne savions plus que faire.
Je me souviens qu'ensemble nous avons écrasé une araignée.
Je me souviens d'avoir vu ma grand-mère attacher le chien à un piquet pour le battre.
Je me souviens que les poules picoraient du maïs dans ma main et que je les chassais lorsqu'elles me faisaient trop mal.
Je me souviens du jour où j'ai découvert le plaisir solitaire.
Je me souviens d'avoir su tout de suite qu'il ne fallait pas en parler.
Je me souviens que ma mère disait qu'il fallait tout dire à ses parents.
Je me souviens que je croyais secrètement en Dieu.
Je me souviens que ma grand-tante me faisait réciter des prières.
Je me souviens qu'avant de dormir il fallait penser à la Vierge : Notre-Dame de Lourdes priez pour nous, Notre-Dame de Rocamadour priez pour nous, Notre-Dame du Causse priez pour nous.
Je me souviens de mes retraites à Saint-Antoine.
Je me souviens de mes premières règles.
Je me souviens de mon baby-blues.
Je me souviens d'avoir aimé la gymnastique, mais pas la course à pied.
Je me souviens d'avoir passé des heures à rêver.
Je me souviens d'avoir passé des heures à lire.
Je me souviens du Blé en herbe de Colette.
Je me souviens que chez mes grand-parents il y avait des almanachs avec des photos d'actrices.
Je me souviens d'avoir aimé des personnages de femmes partagées entre l'amour et la Raison d'Etat.
Je me souviens de Phèdre.
Je me souviens que la maison n'avait ni chauffage ni eau courante.
Je me souviens que le samedi soir on me lavait dans un grand chaudron près de la cheminée.
Je me souviens que ma grand-mère faisait du fromage de vache et ma grand-tante du fromage de chèvre.
Je me souviens de l'odeur du bouc.
Je me souviens des foins et de cet homme qui voulait jouer avec moi.
Je me souviens que c'était un secret et qu'il était trop rouge.
Je me souviens que les femmes chantaient faux à la messe.
Je me souviens de m'être perdue dans une forêt.
Je me souviens d'avoir été peu surveillée.
Je me souviens d'un très petit appartement où ma soeur et moi dormions dans le même lit, dans la même chambre que mes parents.
Je me souviens que mon père a eu une très grosse varicelle.
Je me souviens qu'il ne fallait pas faire de bruit.
Je me souviens d'avoir joué à Mandrake et à la marelle avec Annick.
Je me souviens qu'Annick est morte à vingt ans.
Je me souviens d'un coup de foudre pour un homme avec des taches de rousseur sur les bras.
Je me souviens du premier homme que j'ai vu en érection.
Je me souviens d'avoir été très timide.
Je me souviens d'avoir remporté une subvention de 500 000 francs en me mettant en colère.
Je me souviens d'avoir tricoté des pulls aux motifs compliqués et brodé des abécédaires.
Je me souviens d'avoir étudié l'astrologie et voulu devenir astrologue.
Je me souviens d'avoir aimé traduire.
Je me souviens d'avoir été souvent surprise par des rencontres.
Je me souviens des soirées de juin.
Je me souviens de ma première mobylette.
Je me souviens de ma première blouse en nylon couleur pétrole.
Je me souviens d'avoir porté des chaussures orthopédiques et un appareil dentaire.
Je me souviens d'avoir détesté les adultes.
Je me souviens de m'être laissée tomber du haut d'un escalier juste pour comprendre ce que signifiait "c'est dangereux"
Je me souviens d'avoir un soir avalé beaucoup de Lexomil et de m'être réveillée vingt-quatre heures plus tard, un peu groggy.
Je me souviens d'avoir été désespérée mais j'ai oublié pourquoi.
Je me souviens de ma grand-mère sur une civière.
Je me souviens du petit cimetière de Chartrier.
Je me souviens que j'ai oublié beaucoup de mes secrets.
Je me souviens du pain.
Je me souviens de l'odeur des tomates.
Je me souviens du dispensaire de l'Hôtel Labenche.
Je me souviens que Pierre Bergougnoux parle de l'Hôtel Labenche.
Je me souviens que dans le village, Berthe fut la première à avoir la télé.
Je me souviens d'être allée plusieurs fois à Düsseldorf pour un grand blond avec une moto noire.
Je me souviens d'avoir aimé les mots allemands chuchotés à l'oreille.
Je me souviens de mein Schatz.
Je me souviens de Sehnsucht et de Heimatsweh.
Je me souviens que les mots de la nuit sont pornographiques.
Je me souviens d'avoir eu honte en lisant le Marquis de Sade.
Je me souviens de Nuit et brouillard.
Je me souviens que ma grand-mère me disait plus tard il faudra que tu étudies.
Je me souviens qu'elle était allée à l'école seulement pendant deux ans.
Je me souviens qu'elle était fière sur son tracteur et que les femmes travaillaient dur.
Je me souviens que je devais surveiller mon arrière-grand-père pour qu'il ne tombe pas dans le feu.
Je me souviens de la lenteur.
Je me souviens de la solitude.
Je me souviens que je n'ai pas encore lu Le temps retrouvé.

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