Avant de devenir bibliothécaire, j'étais un jeune homme timide au regard triste. Ma peau de roux, ma mélancolie chronique, mes silences infinis, éloignaient de moi les jeunes filles et faisaient rire les enfants, ces petits êtres à la cruauté sans limite. Je trouvais refuge dans les salles d'étude feutrées des bibliothèques à l'ancienne, peuplées d'érudits absorbés par leurs recherches sur la faune et la flore locales ou la toponymie de la région. Fort naturellement, j'ai fini par prendre racine dans un de ces lieux, où je travaille dans la plus grande discrétion, loin des bruits, chuchotements et écroulements du monde. Mon regard aquatique évite tout contact avec mes congénères.
Elle m'est apparue un matin arc-en-ciel. C'était dimanche, il avait plu, le ciel oubliait sa colère et la chaleur séchait déjà un peu le bitume. Mon voisin, le Chinois, exerçait son art préféré : après avoir trempé son pinceau dans une flaque d'eau, il dessinait des idéogrammes sur le sol, totalement absorbé dans la joie de ses créations si fragiles, si éphémères, dont la disparition semblait rejoindre quelque profondeur de son âme. Peu pressé, comme à mon habitude, je m'étais arrêté pour le regarder et je suis resté là un bon moment, un peu hypnotisé. Lorsque j'ai levé les yeux, je l'ai vue, là, si près, trempée de la récente averse. Elle aussi observait attentivement l'artiste. Elle portait des bottes en caoutchouc vert grenouille et un pardessus irisé sur lequel jouait le soleil. La pluie avait transformé sa chevelure en un étrange tissage d'algues brunes dont des gouttes s'échappaient encore.
De « pinchina » à Pinchinat
Il y a 1 jour
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