La langue des papillons

Blog vagabond, culturel et champêtre

dimanche 19 avril 2009

Déménagement

Ptilonorhynque a changé de nid. Désormais, on peut lui rendre visite ici.

La langue des papillons change, devient plus légère, mais reste résolument vagabonde, culturelle et champêtre :-)

mardi 17 mars 2009

Bibliothèque, Russie, 1905

"Depuis la révolution de 1905, il y avait également, dans l'importante ville de province dont il est ici question, une grande bibliothèque publique - la fierté des habitants - avec une vaste salle de lecture et un système de prêt à domicile. Mais nous, les écoliers, elle nous faisait peur par son caractère mystérieux, compliqué et officiel. Les livres étaient protégés par de hautes barrières en bois laqué plus grandes que nous, ils étaient cachés dans d'incertaines profondeurs, on allait nous les chercher, on nous les apportait en se référant à des fiches rédigées selon un code secret dont nous ignorions la clé, et il nous était trop pénible de devoir chaque fois solliciter l'aide de la bibliothécaire ; il fallait lire à une table, assis auprès d'inconnus, d'étrangers. L'inévitable bruit de fond qui règne dans toutes les salles de lecture nous causait une gêne insurmontable, ce bruissement du silence propre aux bibliothèques, composé de toussotements, du froissement des pages que l'on tourne, du raclement sur le sol des chaises avancées ou reculées. Les distractions visuelles aussi étaient bien trop nombreuses : le moindre mouvement d'un lecteur voisin ou du bibliothécaire de service nous gênait, détournait notre attention."

Varlam Chalamov, Mes bibliothèques (Interférences, 2006). Traduit du russe par Sophie Benech

samedi 14 mars 2009

Printemps des poètes (12/31)

"La poésie est une machine à hacher par-dedans les labyrinthes et les distances. Et les mots qui la composent - des signes de reconnaissance pour ceux qui cherchent à voir en deçà de l'ordre des choses. Autrement dit, la poésie ressemble à un énorme haut-parleur qui fait ressortir, des couches fossiles de l'âme humaine, l'énergie intarissable de la tornade du premier battement de coeur. Aussi une guérilla poétique, fondée sur le talent, l'enthousiasme et la force des poètes francophones, peut-elle toujours lutter contre la réalité en détresse du monde moderne, afin d'anéantir le culte du banal, l'écriture à profil people, les préjugés, l'immobilisme et les lieux communs ! Mais pour que la poésie se change en machine de guerre, il faut que sa descente dans le quotidien soit frappante, il faut qu'elle décoiffe ! J'ai toujours cru qu'un véritable commando poétique doit avoir le courage et la vigueur nécessaires pour donner un nouveau visage à la littérature, pour remuer la vie de l'intérieur et pour dévoiler un monde où l'on peut vivre sans enfiler tous les jours une chemise de Kevlar."

Linda Maria Baros, in Poésies de langue française. 144 poètes d'aujourd'hui autour du monde. Anthologie établie par Stéphane Bataillon, Sylvestre Clancier et Bruno Doucey (Seghers, 2008)

jeudi 12 mars 2009

Printemps des poètes (11/31)

Comme un gros barbouillis de feu mâchuré
Le soleil couchant s'attarde sur les nuages qui demeurent.
Monte un sifflement vague des lointains de cette soirée fort calme.
C'est sans doute un train éloigné.

En ce moment précis monte en moi une sorte de vague à l'âme
Et un vague désir placide
Qui apparaît puis disparaît.

De la sorte parfois, à la surface des ruisseaux,
Des bulles se forment sur l'eau
Qui naissent puis se défont
Et qui n'ont pas de sens du tout
Si ce n'est qu'elles sont des bulles d'eau
Qui naissent puis se défont.


Alberto Caeiro, Le gardeur de troupeaux in Fernando Pessoa, Poèmes païens (Christian Bourgois, 1989).

mercredi 11 mars 2009

Printemps des poètes (10/31)

BIBLIOTHEK

Die vielen buchstaben
die nicht aus ihren wörtern können

die vielen wörter
die nicht aus ihren sätzen können

die vielen sätze
die nicht aus ihren texten können

die vielen texte
die nicht aus ihren büchern können

die vielen bücher
mit dem vielen staub darauf

die gute putzfrau
mit dem staubwedel



BIBLIOTHEQUE

toutes ces lettres
qui ne peuvent pas sortir de leurs mots

tous ces mots
qui ne peuvent pas sortir de leurs phrases

toutes ces phrases
qui ne peuvent pas sortir de leurs textes

tous ces textes
qui ne peuvent pas sortir de leurs livres

tous ces livres
avec toute cette poussière dessus

la brave femme de ménage
avec son plumeau



Ernst Jandl in Anthologie bilingue de la poésie allemande (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1993). Traduit par Jean-Pierre Lefebvre

mardi 10 mars 2009

Printemps des poètes (9/31)

Valore

Considero valore ogni forma di vita, la neve, la fragola, la mosca.
Considero valore il regno minerale, la repubblica delle stelle.
Considero valore il vino finché dura il pasto, un sorriso involontario, la stanchezza di chi non si è risparmiato, due vecchi che si amano.
Considero valore quello che domani non varrà più niente e quello che oggi vale ancora poco.
Considero valore tutte le ferite.
Considero valore risparmiare acqua, riparare un paio di scarpe, tacere in tempo, accorrere a un grido, chiedere permesso prima di sedersi, provare gratitudine senza ricordare di che.
Considero valore sapere in una stanza dov’è il nord, qual è il nome del vento che sta asciugando il bucato.
Considero valore il viaggio del vagabondo, la clausura della monaca, la pazienza del condannato, qualunque colpa sia.
Considero valore l’uso del verbo amare e l’ipotesi che esista un creatore.
Molti di questi valori non ho conosciuto.



Valeur

J'attache de la valeur à toute forme de vie, à la neige, la fraise, la mouche.
J'attache de la valeur au règne animal et à la république des étoiles.
J'attache de la valeur au vin tant que dure le repas, au sourire involontaire, à la fatigue de celui qui ne s'est pas épargné, à deux vieux qui s'aiment.
J'attache de la valeur à ce qui demain ne vaudra plus rien et à ce qui aujourd'hui vaut encore peu de chose.
J'attache de la valeur à toutes les blessures.
J'attache de la valeur à économiser l'eau, à réparer une paire de souliers, à se taire à temps, à accourir à un cri, à demander la permission avant de s'asseoir, à éprouver de la gratitude sans se souvenir de quoi.
J'attache de la valeur à savoir où se trouve le nord dans une pièce,quel est le nom du vent en train de sécher la lessive.
J'attache de la valeur au voyage du vagabond, à la clôture de la moniale, à la patience du condamné quelle que soit sa faute.
J'attache de la valeur à l'usage du verbe aimer et à l'hypothèse qu'il existe un créateur.
Bien de ces valeurs, je ne les ai pas connues.


Erri de Luca, Oeuvre sur l'eau (Seghers, 2002). Traduit de l'italien par Danièle Valin

dimanche 8 mars 2009

Printemps des poètes (8/31)

Si le Maroc était un visage, ce serait une lumière, une parole du temps, dérive des saisons, énigmes des pierres.

Mon pays est une enfance qui traverse les murailles et les siècles, gardée par un ciel chargé d'oiseaux de passage, signes du lointain.

La terre, jamais muette, sait attendre et danser sous les pieds des femmes.
Le soleil lentement la dénude pendant que des mains éphémères glissent vers la nuit.

La terre, l'enfance et la lune pleine s'enchantent des turbulences, des fièvres et des fleuves en crue.

Et l'origine quitte l'argile pour s'ancrer dans les sables, et les sables c'est le Sud, source et patrie de cette lumière dessinant le visage de mon pays.

C'est aussi la douleur, les larmes dans le silence, les yeux égarés dans le ciel, l'attente pleine de terre humide.

Il est des saisons où toute clarté est cruelle, flamme descendant les monts et les légendes, brûlant les pieds nus des siècles où l'Histoire sème l'oubli des plaies.

Il est des jours où l'Histoire se blesse à l'insu des corps d'âpre orgueil.

Tel est mon corps : ombre affolée dans un jardin d'illusions.


Tahar Ben Jelloun, Les pierres du temps et autres poèmes (Seuil, "Points", 2007)

samedi 7 mars 2009

Printemps des poètes (7/31)

Berceuse

Viileä yö
viulun sisällä.
Jousen liike
vain
arvattavissa.
Mustia jouhet,
mustaa hartsi.
Ei näy sormia,
ei näy kättä.
Soittajan
liikkeet
keinuva
kehto,
laskeva sävel.
Näkyvä
maailma
nyt näkymätön.
Viulun sisällä
Vivaldin yö.


Berceuse

Fraîche la nuit
au-dedans du violon.
Le mouvement de l'archet
à peine sensible.
Noires les cordes,
noire la résine.
Ni doigts,
ni main,
perceptibles
Gestes du musicien,
berceau qui se balance,
mélodie qui descend.
Le monde visible
invisible désormais.
Au-dedans du violon
la nuit de Vivaldi.

Penti Saaritsa in Charbon du jour. Poètes vivants de Finlande (Ed. Riveneuve, 2000). Traduit du finnois par Olivier Descargues

vendredi 6 mars 2009

Printemps des poètes (6/31)

Le jour dans sa chute jaillit
des heures lasses
dans la pénombre
une amicale cohorte
rend la nuit synonyme
des étreintes anonymes
qui bercent
nos voix sans pays


Guillaume Damry, Art in a box