Blog vagabond, culturel et champêtre

mardi 10 février 2009

Après les livres

"- Votre rêve est très aristocratique, insinua l'humanitaire Julius Pollock ; l'avenir sera sans aucun doute plus démocratique. J'aimerais, je vous l'avoue, à voir le peuple plus favorisé.
- Il le sera, mon doux poète, repris-je allègrement, en continuant à développer ma vision future, rien ne manquera au peuple sur ce point ; il pourra se griser de littérature comme d'eau claire, à bon compte, car il aura ses distributeurs littéraires des rues comme il a ses fontaines.
A tous les carrefours des villes, des petits édifices s'élèveront autour desquels pendront, à l'usage des passants studieux, des tuyaux d'audition correspondant à des oeuvres faciles à metre en action par la seule pression sur un bouton indicateur. D'autre part, des sortes d'automatic libraries, mues par le déclenchement opéré par le poids d'un penny jeté dans une ouverture, donneront pour cette faible somme les oeuvres de Dickens, de Dumas père ou de Longfellow, contenues sur de longs rouleaux faits pour être actionnés à domicile.
Je vais même au-delà : l'auteur qui voudra exploiter personnellement ses oeuvres à la façon des trouvères du moyen âge et qui se plaira à les colporter de maison en maison pourra en tirer un bénéfice modéré et toutefois rémunérateur en donnant en location à tous les habitants d'un même immeuble une infinité de tuyaux qui pertiront de son magasin d'audition, sorte d'orgue porté en sautoir pour parvenir par les fenêtres ouvertes aux oreilles des locataires désireux un instant de distraire leur loisir ou d'égayer leur solitude
."

Octave Uzanne, La fin des livres (Ed. Manucius, 2008)

mercredi 4 février 2009

Message non reçu

Il m'arrive de rester totalement insensible face à certaines propositions des artistes contemporains, même si les discours qui entourent la mise en scène de leurs oeuvres ont des arguments pour me séduire.

J'ai ainsi déambulé sans ressentir la moindre émotion, sans entendre le moindre message, sans que mon cerveau ne soit titillé par quoi que ce soit d'un peu stimulant, entre les oeuvres de l'artiste américain d'origine Cherokee Jimmie Durham, exposées au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris jusqu'au 12 avril. Indifférence et ennui, voilà tout ce que m'évoquent ces "pierres rejetées" (c'est l'intitulé de l'expo), ces objets, bouts d'objets, abjets et déchets qui servent de matière première à l'artiste - petit goût de déjà vu, non ? - ces petites vidéos où l'on fabrique une "oeuvre" en lynchant un réfrigérateur ou en écrasant un lit avec une grosse pierre. Ennui et lourdeur, cet art conceptuel povera censé porter les messages métaphorisés à l'excès de l'artiste en posture hiératique de surplomb ironique. Les oeuvres elles-mêmes semblent s'ennuyer, comme gênées d'être exposées à la va-comme-ça-peut en attendant mieux. Et franchement, non, une pierre de 34 x 41 x 20 cm aux faces peintes en vert printemps et rose bonbon ne devient pas une oeuvre d'art simplement parce qu'elle est posée sur un socle de 55 x 48 x 35 cm dans un musée d'art moderne.

Je ferai juste une exception à ces propos sans nuance sur une exposition qui m'a mise de méchante humeur : j'aime bien l'
Arch de Triomphe for Personal Use, joyeusement décalé.

lundi 2 février 2009

La Reine des lectrices

"Comme elle lisait de plus en plus, la reine se fournissait désormais auprès de diverses bibliothèques, y compris les siennes. Mais pour des raisons sentimentales, et parce qu'elle aimait bien Mr Hutchings, il lui arrivait parfois de descendre dans l'arrière-cour des cuisines et de soutenir de ses efforts le responsable du bibliobus.

Un mercredi après-midi, toutefois, le véhicule ne se montra pas ; et on ne le vit pas davantage la semaine suivante. Norman fut aussitôt chargé de se renseigner sur cette affaire et apprit que le passage du bibliobus au palais avait été supprimé suite à de sévères restrictions budgétaires. Norman ne se découragea pas et finit par retrouver le véhicule dans la cour d'une école de Pimlico : Mr Hutchings était toujours assis derrière son volant, à coller des étiquettes. Il lui expliqua qu'il avait fait valoir aux responsables des bibliothèques itinérantes que Sa Majesté était au nombre de ses clientes, mais cela avait laissé de marbre le conseil municipal. On lui apprit en effet qu'avant de supprimer ces visites, la municipalité avait mené une discrète enquête au palais, où la question n'intéressait apparemment personne.
"

Alan Bennett, La Reine des lectrices (Denoël, 2009). Traduit de l'anglais par Pierre Ménard